La guerre de l'eau aura-t-elle lieu?
Depuis 2012, le photographe Franck Vogel parcourt le monde pour documenter les fleuves transfrontaliers et les enjeux dont font l'objet ces territoires. «L'idée était de montrer l'importance de l'eau et de brosser un portrait global de la planète autour de différentes problématiques: la construction des barrages, la pollution, les prélèvements d'un pays aux dépens d'un autre, etc, explique-t-il. Je ne voulais pas que le choix des fleuves soit redondant. Il fallait aussi que tous les continents soient représentés, il était essentiel de montrer que les pays pauvres ne sont pas les seuls concernés.» Son projet fait l'objet d'un livre, Fleuves frontières. La Guerre de l'eau aura-t-elle lieu? (Éditions de La Martinière) et d'une exposition à la galerie Fait & Cause, à Paris, du 14 septembre au 28 octobre 2017. Le photographe, financé par Géo, travaille actuellement sur le deuxième tome.
Éthiopie | Franck Vogel
«Sur les berges du lac Tana, lors de Timqet (Épiphanie), les croyants se font asperger d’eau par un prêtre orthodoxe en entrant dans le lac sacré, qui est autant la source du Nil bleu que source de toute vie.»
Soudan du Sud | Franck Vogel
«Les habitants peuvent voyager gratuitement sur les barges de marchandises remontant le Nil blanc. Ils y plantent leurs tentes et amènent leur nourriture pour un voyage qui dure quelquefois jusqu’à quatorze jours. L'expédition est très lente du fait des nombeux bancs de sable et d'un fleuve qui serpente énormément et n'est pas bien adapté à la navigation. À l’exception des rares barges, on y croise des barques de pêcheurs et de petites barges pour le bétail.»
Soudan du Sud | Franck Vogel
«La plus grande excavatrice du monde, appelée Sarah par les ouvriers, a été utilisée pour creuser le canal de Jonglei. L'Egypte et le Soudan ont aménagé ce canal de 320 km pour gagner quelques pourcentages de débit d’eau en plus. Beaucoup de gens, notamment la tribu des Dinka, habitaient sur cette zone. En 1983, elle mena une attaqua pour protéger le marécage du Sudd –riche en poissons–, qui aurait été asséché à la fin de la construction. Cette machine symbolise le début de vingt-cinq ans de guerre qui aboutiront à la naissance du pays en 2011.»
Inde | Franck Vogel
«Un projet prévoit la construction de 150 barrages au détriment de la population locale de Dulumu en Arunachal Pradesh, un Etat revendiqué à la fois par la Chine et la l'Inde. Ce barrage sur le Subansiri, un affluent du Brahmapoutre, est toujours en construction. Tout le village a été corrompu (argent, opium, alcool) pour qu’il soutienne le projet. Suite aux manifestations massives et aux blocages de routes, le chantier a été arrêté en septembre 2011. Ce sont des activistes qui m'ont aidé à aller sur le site pour faire mes photos.»
Inde | Franck Vogel
«Pour lutter contre l'érosion, le Brahmaputra Board recrute des ouvriers qui remplissent des sacs de sable sur les bancs de sables voisins pour les utiliser sur l’île de Majuli. C’était la plus grande île fluviale du monde, mais elle a perdu en 100 ans plus de 70% de sa taille. Des milliers de maisons et de fermes ont été abandonnées. Des monastères ont aussi été déplacés et reconstruits sur la terre ferme. Selon les experts, d’ici quinze à vingt ans, l’île est amenée à disparaître.»
Frontière États-Unis / Mexique | Franck Vogel
«Après avoir été détournées par le canal "All-American", qui passe juste au bas de la première chaîne de montagnes, les eaux du Colorado (à droite) sont stoppées par le barrage Morelos aux États-Unis. L'eau du Colorado est utilisée pour l'Imperial Valley, une zone agricole en plein désert. Après la frontière mexicaine, le fleuve est complètement à sec. Les États-Unis privent donc d’eau un pays entier. Les gens qui vivent dans le delta ne peuvent plus pêcher et ne disposent plus d'eau douce pour irriguer.»
États-Unis | Franck Vogel
«Le barrage de Glen Canyon a bloqué les eaux du Colorado pour former le lac Powell. On y distingue des marques blanches, que les Indiens Navajos appellent "les traces de baignoire". Celles-ci révèlent à quel point le niveau d’eau a baissé ces dernières années, en raison à la fois de la sécheresse, de l’évaporation et du changement climatique. En janvier 2013, cet immense lac affichait son plus bas niveau historique.»
États-Unis | Franck Vogel
«Avec 2 millions d'habitants et 37 millions de touristes par an, Las Vegas compte plus de 125.000 chambres d'hôtel et son besoin en eau est toujours plus important. Il existe quelques belles initiatives, comme le recyclage de l’eau pour les fameuses Fontaines du casino Bellagio, mais la ville se développe et les responsables politiques cherchent à acheter les droits à l'eau des agriculteurs de Baker, une ville agricole située à 300 km au nord. Aujourd'hui, 85% des eaux du Colorado sont utilisées par les agriculteurs qui cultivent de la luzerne, très rentable mais aussi grande consommatrice d'eau. Or, 70% de la production est exportée, surtout en Asie. Si Las Vegas est toujours pointée du doigt comme bouc émissaire, sa consommation d'eau du Colorado n'est en fait qu'un petit pourcentage de la globalité.»
Israël | Franck Vogel
«Le Lino était une station balnéaire très populaire sur la mer Morte dans les années 1930 et 1940. La mer était juste là à l'époque, mais depuis quelques dizaines d’années, le niveau baisse d’un mètre par an. La raison: le détournement de 96% de l’eau du Jourdain et un pompage massif d’Israël dans la mer Morte pour en extraire les minéraux.»
Jordanie | Franck Vogel
«Inutiles échelles de crue... Le lac du barrage de Ziglab, situé sur un affluent du Jourdain, est presque à sec. Une longue sécheresse et la surexploitation du cours d’eau ont fait perdre à ce réservoir, qui alimente les plantations de Jordanie, 80% de sa capacité en moins de quinze ans, contraignant le royaume au rationnement.»