UNE REFORME A PROBLEMES

La gestion des forages dans le monde rural confiée à des entreprises privées délégataires du service public de l’eau en milieu rural est source de problèmes.

La gestion des forages dans le monde rural confiée à des entreprises privées délégataires du service public de l’eau en milieu rural est source de problèmes. Elle doit être évaluée avant la poursuite du processus de sa mise en œuvre.

 

En 2014, l’Etat a pris des mesures pour confier la distribution de l’eau dans le monde rural à des privés. C’est ainsi qu’alors, à travers le ministère de l’Hydraulique et l’Office des forages ruraux (Ofor), il a introduit des entreprises privées dans la gestion qui était autrefois confiée à des groupements locaux dénommés Associations des usagers des forages ruraux (ASUFOR).

Les entreprises choisies par l’Etat ont la charge d’assurer l’alimentation en eau en qualité et en quantité, mais aussi la collecte de l’argent. Il y a aussi les Comités d’usagers qui sont les intermédiaires entre les populations et les gestionnaires. Ils sont aussi chargés de discuter avec les élus locaux et les responsables de l’OFOR. Cependant, cette réforme n’a pas été bien appréciée par des populations rurales qui trouvent que la distribution a connu des perturbations avec l’arrivée de nouveaux gestionnaires ; mais aussi, le coût est devenu beaucoup plus élevé.

C’est ainsi que l’Etat du Sénégal a décidé d’initier une évaluation de la réforme. Lors du vote du budget de son ministère, le 30 décembre dernier, le ministre de l’Eau et de l’Assainissement, Serigne Mbaye Thiam, a soutenu que la gestion des forages en milieu rural nécessitait une professionnalisation. Le réseau n’était pas aux normes et il y avait un problème de transparence dans la gestion, en plus des difficultés de rentabilité. Il y avait certes une réticence, mais la nécessité est démontrée car, dit-il, seuls 30% à 50% des branchements arrivaient au niveau des domiciles.

D’ailleurs, ces réticences notées dans certaines zones ont poussé le président de la République, Macky Sall, à demander une évaluation de la réforme. Serigne Mbaye Thiam signale que le bureau d’études a été sélectionné et ce n’est qu’à la fin qu’une décision sera prise. «Nous allons conduire cette évaluation et en tirerons les conclusions pour voir si nous devons poursuivre et sur quelle forme». L’instauration de la réforme a été inclusive, ajoute-t-il. «Je dois indiquer quand-même qu’il y a des concertations qui se font au niveau des sous-préfets, des préfets, des gouverneurs ; les agents de l’OFOR (Office des forages ruraux) eux-mêmes se déplacent dans les localités pour avoir un dialogue avec les ASUFOR (Associations des Usagers de Forages) et les populations.

 Selon Serigne Mbaye Thiam, le taux d’accès à l’hydraulique rurale de l’eau potable en milieu rural est passé de 81% en 2011 à près de 95% en 2020.

 

 

 

«La réforme sur l’hydraulique a été mal conduite»

 

Seydou Ndiaye, de la plateforme des Organisations de la société civile (OSC) sur l’eau et l’assainissement, estime que la réforme sur hydraulique est mal conduite parce que les autorités n’ont pas associé les populations. Elles n’ont ni suffisamment dialogué, encore moins mené une bonne concertation avec l’ensemble des acteurs pour trouver la bonne formule. Et d’ajouter qu’au rythme où vont les choses, le processus risque d’être biaisé car il n’est ni inclusif ni transparent.

«(…) La réforme de l’hydraulique rurale a soulevé beaucoup de problèmes dans le pays. Premièrement, l’appréciation qu’on n’a de cette réforme, c’est qu’elle a été mal conduite. Et deuxièmement, les structures n’ont pas associé les populations, ni suffisamment dialogué, même pas une bonne concertation avec l’ensemble des acteurs pour trouver la bonne formule. On ne peut pas arriver un jour dans un village où les populations sont organisées en Comité de gestion, pour gérer un forage construit par des immigrés et même par l’Etat, pendant 10 ou 15 ans, et leur arracher leur patrimoine. Ça ne plait à personne ; ces opérateurs ne font pas mieux, car ils ne sont même pas capables de payer la facture d’électricité, ni de réparer un forage. Les populations sont en train de souffrir, ils n’ont pas accès à l’eau parce que l’opérateur n’a pas payé la facture d’électricité. C’est des situations qu’on a vécues à l’intérieur du pays et c’est dommage.

Le président de la République a bien fait d’arrêter ce processus ; mais il faut que l’évaluation se fasse dans les règles de l’art. A l’époque, au niveau de la société civile, il avait été dit que le processus devrait être plus ouvert et plus réfléchi. Mais, malheureusement, l’OFOR (Office des forages ruraux, ndlr) qui venait d’être mis en place a décidé de foncer sur la réforme et le résultat nous le constatons tous. C’est des récriminations des populations qui se sentent dessaisies de leur propre patrimoine qu’elles ont géré tant bien que mal, et quelque part même avec une gestion plus performante que les quelques opérateurs qui ont pu bénéficier de délégation spéciale».

S’ARRETER ET FAIRE UNE PREMIERE EVALUATION DE LA REFORME

 « Vous êtes au courant de tout ce qui se passe à l’intérieur (du pays) avec des opérateurs qui ont des difficultés de gérer de manière optimale les infrastructures et le service de distribution de l’eau en milieu rural. A l’époque, on avait attiré l’attention du ministère (de l’Eau et de l’Assainissement) en disant qu’il fallait s’arrêter et faire une première évaluation des délégations spéciales qui avaient été lancées, mais les gens n’ont pas voulu. Heureusement que depuis 6 à sept mois, avec les revendications des populations, et tous les problèmes connus au niveau du pays, le président de la République a pris la responsabilité d’arrêter le processus de délégations spéciales et de délégation de service en milieu rural pour demander à la Direction de l’hydraulique de faire une évaluation de la réforme, avant de prendre une décision.

Le processus d’évaluation est lancé ; en tout cas nous, au niveau de la société civile, nous sommes membres du Comité technique devant couvrir le processus. Même si, aujourd’hui, il y a encore quelques problèmes en termes d’animation du processus. On s’est déplacé pour rencontrer le Directeur de l’hydraulique qui nous a présenté des termes de référence pour recruter un cabinet, sans la société civile, élaborer des termes de référence, faire leur calendrier, sans la POSCEAIS.

 

En tous cas, au niveau de la société civile, il y avait la représentation dans ce comité des associations de consommateurs, le Congad, POSCEAIS. Nous sommes une plateforme d’organisation de la société civile sur l’eau et l’assainissement et nous estimons être suffisamment représentatifs pour être là. Mais ce n’est pas le cas, je ne sais pas s’ils le font exprès ou s’il y a des problèmes de communication, car nous, nous ne recevons l’invitation que la veille ou le jour de la réunion. Ce qui fait qu’il y a deux réunions décisifs que nous avons ratés. Et bizarrement, on se réveille un bon jour, le Directeur de l’hydraulique nous écrit pour nous dire de recevoir le consultant chargé de mener l’évaluation. On a dit : «attention, on ne peut pas recevoir un consultant dans une activité où on n’est pas partie prenante». On devrait être là au moment de la méthodologie et valider avec l’ensemble des acteurs tout le protocole, le dispositif de mise en œuvre, sinon on ne peut pas continuer à être là comme figurant ».

SOLUTIONS POUR REGLER LES PROBLEMES LIES A LA REFORME

 

« C’est un processus hautement stratégique, extrêmement important dans lequel la société civile doit pouvoir se battre pour être au cœur, en son sein et suivre l’évaluation. Afin qu’on arrive à des résultats probants, susceptibles d’amener le président de la République à prendre la bonne décision. Ça ne doit pas être un processus précipité ou biaisé ; alors qu’il y’a des enjeux autour de cette question très importante. Au rythme où vont les choses, le processus risque d’être biaisé. Parce que ce n’est pas encore transparent, ni inclusif

 

Mariama DIEDHIOU | 05/01/2021

 

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