« Pourquoi j’ai pris la mer », Coura, rescapée et seule femme de la pirogue échouée aux Almadies, raconte
« BARÇA WALA BARSAKH » /CHAVIREMENT D’UNE PIROGUE AU LARGE DES ALMADIES
Des rescapés parlent sur Pv
Libération quotidien a pris connaissance des dépositions, sur procès-verbal, des 39 rescapés après le chavirement d’une pirogue de migrants intervenu au large des Almadies. Quelques extraits.
Drame nocturne au large des Almadies
Dans la nuit du 25 au 26 octobre dernier, la Division nationale de la lutte contre le trafic de migrants et pratiques assimilées est informée qu’une embarcation clandestine s’apprêtait à prendre la mer à partir de la baie de Soumbédioune.
Le temps que les policiers arrivent, la pirogue était déjà à 300 mètres de la plage. Immédiatement, ils informent la Marine nationale qui s’est mise aux trousses de la pirogue. A 5 kilomètres au large de Dakar, le patrouilleur «Sangomar » et la vedette de la Guardia civil espagnole sont entrés en action et ont procédé effectivement à l’interception de l’embarcation. Dans sa manœuvre pour éviter son arraisonnement, la pirogue s’est renversée, après une collision avec le patrouilleur «Sangomar ». Le choc a eu lieu au large des Almadies, vers 3 heures 30 du matin.
Le « capitaine » de la pirogue déclaré mort
En effet, il ressort des témoignages de tous les rescapés que le capitaine du bateau, Pape Modou M., déclaré mort, avait systématiquement refusé d’obtempérer aux injonctions des deux patrouilleurs qui voulaient escorter l’embarcation jusqu’à la base navale. Pape Modou M. a préféré se diriger vers les rochers pour éviter l’arraisonnement. Après le chavirement, des recherches ont été déclenchées pour trouver des rescapés. C’est ainsi que les patrouilleurs ont pu sauver 39 personnes qui venaient, pour la plupart de Saint-Louis, Ngaye Mékhé et Gueule Tapée.
Les confidences de Coura S.
Seule femme du groupe, Coura .S, célibataire sans enfant née en 1995 et demeurant à Cayar raconte avoir remis à un passeur 300.000 Fcfa pour faire partie du voyage. « J’ai sauté sur l’occasion parce que nous étions confrontés à une situation très difficile à Cayar. Nous avons embarqué vers 1 heure du matin à la plage de Soumbédioune en direction de l’Espagne. (…) Nous étions environ 70 passagers. Je ne connais pas le nombre de rescapés mais je sais que le nombre de disparus est élevé par rapport au groupe qui est dans les locaux (…). Lorsque la pirogue a été percutée par le bateau de la Marine, elle s’est renversée et nous sommes tombés dans l’eau. Mon frère Moussa S. a nagé vers moi pour m’aider à sortir ma tête de l’eau. Il m’a donné ensuite un bidon vide afin de pouvoir rester hors de l’eau. J’ai pu difficilement embarquer dans le navire espagnol », a-t-elle raconté aux policiers.
Pape Samba F. : « La pirogue était pleine à craquer ».
Pape Samba F., qui a vu le jour en 1996 à Saint-Louis a aussi son histoire : « L’idée de voyager clandestinement vers l’Europe m’a traversé l’esprit suite à mes conversations via WhatsApp avec des jeunes de mon quartier, du même âge que moi, qui ont réussi à rallier les Iles Canaries ces derniers temps. La plupart de ces jeunes, malgré le fait de ne pouvoir pas nager ont réussi quand même à arriver à destination, je me suis dit que c’était l’occasion pour moi qui suis pêcheur de tenter ma chance ». Même s’il ignore le nombre de passagers qui était dans la pirogue, Pape Samba F. est formelle : « Elle était pleine à craquer. J’avais décidé de rejoindre l’Espagne parce que la pêche au Sénégal n’est plus fructueuse. (…) Je n’envisage pas de me relancer dans cette aventure. Je suis désorienté et très affecté ».
Abass D. : « Pour rien au monde je ne retenterais cette expérience ».
Comme lui, Abass D., 35 ans, domicilié à Saint-Louis est traumatisé à vie : « Pour rien au monde je ne retenterais cette expérience. J’en ai vraiment souffert et je suis traumatisé à vie. Je veux tout simplement retourner à Saint-Louis pour retrouver de mon travail de taximan.
Ibrahima N. : «Je suis prêt à retenter ma chance… ».
Même s’il « regrette les pertes en vies humaines » et « malgré le danger encouru », Ibrahima N., qui a failli laisser sa vie dans ce drame, ne semble pas découragé. « Si l’occasion se présente à nouveau, je suis prêt à tenter encore ma chance », confesse-t-il aux enquêteurs. Né en 1992 à Keur Coumba Diaga (Kaolack) et domicilié à Ngaraf (Gandiaye), Ibrahima N., qui était assis au-devant de la pirogue au moment du choc, sait pourtant, comme il l’affirme sur pv que « presque la moitié des passagers a disparu ».
« Presque la moitié des passagers a disparu ».
Ce que confirme Pape Abdoulaye G., soudeur métallique, qui dit avoir glané les informations concernant le voyage dans un « grand-place », à Saint-Louis d’où il est originaire.
Selon nos informations, l’enquête a permis de mettre la main sur deux passeurs à savoir Khadim Tall, pêcheur, domicilié à Ndar Toute (Saint-Louis) et Amadou Mactar Diaw, manœuvre à Eiffage demeurant à Santhiaba (Saint-Louis). A noter qu’une partie des migrants était logée à l’école publique « Bara Guèye » grâce au vigile Mbaye S.
Le parquet a demandé l’ouverture d’une information judiciaire pour migration clandestine, mise en danger de la vie d’autrui et association de malfaiteurs. Les candidats au voyage, considérés comme des victimes, ont été remis en liberté.