LAICITE ET LIBERTE D’EXPRESSION
Voici une réaction depuis le Sénégal, qui va certainement entraîner des réactions. On n’est pas obligé d’être d’accord, mais il est important d’écouter le point de vue des autres :
Personne n’a le droit de tuer un autre, surtout pas au nom de Dieu. Les musulmans l’affirment eux-mêmes : Mohammed Moussaoui, Président du Conseil français du culte musulman (CFCM) : « Les terroristes incarnent la trahison de tout ce qui est sacré dans l’islam »
Le meurtre en France du professeur Samuel Paty est horrible et inadmissible. Il nous faut à tout prix lutter de toutes nos forces contre de telles choses. Mais pas par n’importe quels moyens. Sinon le remède risque d’être pire que le mal. Si on veut vivre en paix, il ne faut pas faire de provocation inutile. Et il faut aussi apprendre à respecter les opinions des autres, et surtout leurs croyances.
Si on n’est pas d’accord avec leur opinion et qu’on pense qu’elle est mauvaise, la provocation n’est jamais une solution. Que l’on s’explique et que l’on éduque. Mais cela demande un engagement profond, une réflexion sérieuse et beaucoup de temps. « Ce n’est pas d’agiter les peurs qui fera avancer les choses, se désole l’enseignante de philosophie Carole Diamant. On n’est plus depuis longtemps dans l’omerta, mais la lutte contre l’emprise islamiste est un travail de longue haleine. » (journal La Croix du 21-10-20)
Si au Sénégal nous arrivons à nous entendre entre chrétiens et musulmans, c’est parce que nous avons appris à nous respecter les uns les autres, même si ce n’est pas toujours facile. Et à éviter des paroles ou des actions, même légitimes, mais qui risqueraient de tout casser. Au bénéfice de la paix.
On propose une semaine consacrée à la laïcité dans les écoles françaises
Très bien. A condition que ce soit une laïcité positive et constructive, et non pas une attaque de la religion. Sinon on risque d’avoir de nouvelles réactions incontrôlées. N’oublions pas que ceux qui souffrent le plus et subissent les conséquences les plus graves, que ce soit de cet assassinat ou des autres attentats, ce sont les musulmans et les musulmanes, qui pour la très grande majorité sont des bons citoyens et n’y peuvent rien.
Oui pour la liberté d'expression, à condition de respecter la liberté d'opinion des autres
Oui pour la liberté d'opinion, à condition de respecter la liberté de religion.
En ce moment on assiste à un rejet pas seulement des terroristes, mais aussi des musulmans et des étrangers en général : dégradations à Montélimar, tags et bris de vitres à Bordeaux, menaces d’incendie à Béziers… Depuis l’assassinat de Samuel Paty, trois mosquées ont été prises pour cible. Deux femmes voilées ont également été violemment agressées à Paris, près de la Tour Eiffel. Ce n'est pas de la laïcité, c'est de la haine.
Ghaleb Bencheikh, président de la Fondation de l’islam de France, explique que « si on lutte contre le fanatisme en tapant dessus, c’est comme un clou : plus on tape, plus on l’enfonce, plus on l’enracine… ». À méditer pour ces politiques, qui depuis quelques jours se livrent à une surenchère sécuritaire contre toute expression de l’islam dans l’espace public (rapporté par Isabelle de Gaulmyn, journal la Croix du 22-10).
Mais alors, comment pourront-ils nous apporter les richesses de leurs cultures et de leurs religions ? Qu’ils respectent la République et ses lois, oui bien sûr ! Mais qu’ils restent eux-mêmes, et ne pas en faire des citoyens lambda incolores et inodores, parce qu’ayant perdu leur personnalité.
Le Grand imam d’Al-Azhar, la plus haute autorité morale et intellectuelle de l’Islam, dans un message lu au cours de la rencontre interreligieuse avec le pape François, organisée par la communauté Sant’Egidio le mardi 20 octobre 2020 à Rome a déclaré : « La fraternité humaine » est « un antidote » contre « les maladies de la haine et du racisme », c’est « une forte immunité contre les épidémies intellectuelles et morales ». Il ne peut pas être taxé de terrorisme, ni même d’islamisme, c’est lui qui a rédigé avec le pape François le document si important sur la Fraternité Humaine, reconnu internationalement. Il affirme : « Le concept de fraternité humaine ne se limite pas à la simple acceptation de l’autre. Cela signifie plutôt que nous devons déployer des efforts pour assurer le bien-être et la sécurité des autres. »
Dans son message, le Grand imam évoque le meurtre du professeur d’histoire Samuel Paty, dans la région parisienne, le 16 octobre dernier : « En tant que musulman et Grand imam d’Al-Azhar, je déclare que l’islam, ses enseignements et son prophète sont innocents de ce crime terroriste odieux… Ce terroriste ne parle pas au nom de la religion du prophète Mahomet, pas plus que le terroriste qui a tué des musulmans dans une mosquée en Nouvelle Zélande ne parlait au nom de la religion de Jésus ».
Ahmed al-Tayeb déclare aussi qu’ « insulter les religions et attaquer leurs symboles sacrés sous le slogan de la liberté d’expression est une ambiguïté intellectuelle et une invitation ouverte à la haine ».
Le 21 octobre 2020, le groupe marseillais imams-prêtres, qui se réunit depuis dix ans, a rédigé un message à la suite à l’assassinat de Samuel Paty. Les signataires ont d’abord rappelé : « Nos origines, nos opinions, nos courants politiques et nos religions sont des lieux de découvertes et d’enrichissement mutuels ». Après avoir exprimé leur émotion « profondément choqués par l’horrible assassinat dont a été victime Monsieur Samuel Paty… », ils ont souligné que « c’est dans le dialogue mené avec franchise et respect que les ignorances, les amalgames, les préjugés reculeront… ». Le groupe imams-prêtres a manifesté son inquiétude « du climat qui s’alourdit dans notre pays et cible les musulmans et leurs structures qui travaillent dans un cadre républicain ». Ils ont affirmé : « Nous ne voulons pas céder à la peur ou à la division. Nous avons décidé de vivre ensemble, unis dans la fraternité ».
Autre message du groupe imams-prêtres de Marseille
Nous sommes un groupe amical constitué d'imams et de prêtres de Marseille, auxquels s'ajoutent une croyante musulmane et une religieuse catholique.
De manière régulière, depuis 10 ans, nous nous rencontrons pour échanger, partager et approfondir ensemble par l'écoute, la réflexion, le questionnement des éléments de notre foi, de notre culture, des faits de société.
Nous sommes convaincus que nous appartenons à la même humanité, que nous sommes des êtres de relation et que nos origines, nos opinions, nos courants politiques et nos religions sont des lieux de découvertes et d'enrichissement mutuels.
Comme l'ensemble de la communauté nationale française, nous sommes profondément choqués par l'horrible assassinat dont a été victime Monsieur Samuel Paty, professeur d'histoire du Collège de Conflans Sainte Honorine.
Cet assassinat lâche et abject d’un enseignant porte atteinte à des principes fondamentaux de la République comme la liberté d’expression, la liberté de conscience, la laïcité.
Nous sommes profondément convaincus du bien-fondé de ces principes. Nous voulons exprimer notre soutien à la famille de Monsieur Samuel Paty, à ses proches et à tous les personnels de l’Éducation Nationale. Nous reconnaissons l'importance de leur travail.
Notre groupe est modeste mais il est un signe parmi d'autres que c'est dans le dialogue mené avec franchise et respect que les ignorances, les amalgames, les préjugés reculeront et laisseront davantage place à un vivre ensemble plus pacifié et plus fraternel. L'ouvrage est devant nous et il a besoin de chacun.
Plus que jamais parlons ensemble, comme citoyens et comme croyants, du civisme, de laïcité, du fait religieux, de la place des religions, de la violence, du terrorisme, dans le débat public et dans tous les lieux d’éducation de jeunes, y compris, sur invitation, dans les établissements scolaires publics et privés. Ce n'est qu'en mettant des mots que l'on fera reculer l’ignorance et le barbarisme.
Nous sommes inquiets du climat qui s’alourdit dans notre pays et cible les musulmans et leurs structures qui travaillent dans un cadre républicain.
Nous sommes disponibles pour toute initiative qui nous conduirait à témoigner ensemble, avec des croyants des autres traditions religieuses et des agnostiques, de ce qui nous pousse à servir la devise républicaine dans ses trois dimensions « liberté, égalité, fraternité ».
Nous ne voulons pas céder à la peur ou à la division.
Nous avons décidé de vivre ensemble, unis dans la fraternité et unis dans le défi et le bienfait d’accueillir nos diversités.
Marseille, le 21 octobre 2020
Messieurs Azzedine Aïnouche, Farid Bourouba, Salim Bouzred, Haroun Derbal,Nassurdine Haïdari, Mohsen Ngazou, Abdessalem Souiki, Madame Saïda Driouiche.
Pères Thierry Alfano, Jean-Louis Barrain, Philippe Barrucand, Martin Durin, Jean Lahondès,
Jean-Pol Lejeune, Laurent Notareschi, Christophe Roucou, sœur Christine Pousset.
Réaction : Entièrement d’accord avec vous, poursuivons le dialogue et travaillons sur les inégalités sociales.
-C’est décidé, le quotidien Jyllands-Posten, connu pour avoir publié 12 caricatures de Mohammed en septembre 2005, n’ira plus au front. Conformément à l’opinion d’une majorité de Danois, son rédacteur en chef, Jacob Nybroe, l’a bien dit : il « ne republiera plus jamais ces caricatures, ni au Danemark ni à l’étranger ».
Nous aurions certainement intérêt à nous inspirer de la façon dont la laïcité est vécue dans le autres pays européens, au lieu de nous enfermer dans « la laïcité à la française ».