En Afrique, une riposte durable au coronavirus ne peut occulter la question de l’eau »
L’ingénieur Fadel Ndaw rappelle qu’entre 70 et 80 % des maladies sur le continent sont dues à la mauvaise qualité de l’eau et à l’absence d’installations d’assainissement adéquates.
Un homme se lave les mains dans le bidonville de Kibera, à Nairobi, au Kenya, le 18 mars 2020. Baz Ratner / REUTERS
Tribune. Ces dernières années, de nombreuses villes africaines ont dû prendre des mesures drastiques pour éviter des pénuries d’eau potable. Nous nous souvenons tous de la pénurie historique subie par la ville du Cap en 2018. Les autorités sud-africaines avaient évité de justesse la catastrophe en rationnant l’eau potable à 50 litres par jour et par habitant, dans une ville habituée jusque-là à des niveaux élevés de consommation.
La même année, la ville de Bouaké, en Côte d’Ivoire, recevait un financement d’urgence de 8,5 millions de dollars de la Banque mondiale pour faire face à une grave pénurie d’eau potable. Cette intervention avait permis de juguler la pénurie grâce à la construction de stations compactes de traitement, l’équipement de nouveaux forages et la réhabilitation de pompes manuelles dans les villages raccordés au réseau de Bouaké, tout en développant la distribution d’eau potable par des camions-citernes.
Alors que la première recommandation de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour se protéger du coronavirus est de se laver les mains fréquemment avec du savon, il est évident que pour lutter de façon durable contre la propagation du Covid-19 et prévenir toutes les pandémies à venir, la disponibilité d’eau potable à proximité immédiate des habitations pour l’ensemble de la population est un impératif.
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Or en Afrique subsaharienne, près de 63 % des populations urbaines, principaux foyers de la maladie, ont du mal à accéder aux services élémentaires d’alimentation en eau et ne peuvent pas se laver les mains. On estime qu’entre 70 et 80 % des maladies sur le continent sont dues à la mauvaise qualité de l’eau et à l’absence d’installations d’assainissement adéquates, comme la dysenterie et le choléra, qui sont parmi les principales causes de mortalité infantile.
Les gouvernements africains viennent de mettre en place des plans d’urgence pour lutter rapidement contre la crise de Covid-19. Mais la plupart de ces plans mettent surtout l’accent sur la réponse d’urgence sanitaire et peu sur l’amélioration de l’accès à l’eau et à l’assainissement, si ce n’est à travers l’installation d’équipements pour le lavage des mains dans les centres de santé et autres lieux publics.
Pandémies, sécheresses et inondations
Le problème de l’accès à l’eau potable est d’autant plus vital que la démographie urbaine augmente très rapidement sur le continent. En 2050, plus de 1,6 milliard d’Africains habiteront dans des villes et des bidonvilles. Dans les prochaines années, une centaine d’immenses mégapoles actuelles, comme Lagos (23 millions d’habitants) ou Kinshasa (12 millions), doubleront leur population. Par ailleurs, le monde connaîtra d’autres pandémies. Et le changement climatique ne fera qu’accroître les épisodes de sécheresse ou d’inondations qui affectent déjà de nombreuses villes.
Il est dès lors primordial que les gouvernements africains mettent en place des stratégies, mobilisent une partie de leur budget et élaborent des politiques en faveur de la fourniture de services d’eau, d’assainissement et d’hygiène à l’ensemble des Africains. Plusieurs solutions s’offrent à eux :
Augmenter les investissements dans l’eau et l’assainissement. Conformément au sixième Objectif de développement durable, l’Afrique doit investir massivement dans les secteurs de l’eau et de l’assainissement au cours des dix prochaines années. Il faudrait entre 10 et 15 milliards de dollars d’investissements annuels pour approvisionner toute la population en eau potable et fournir un service d’assainissement de base. Or actuellement, les pays africains ne consacrent pas plus de 0,5 % de leur PIB à ce secteur et n’y investissent qu’une petite partie de l’aide internationale.
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Garantir la viabilité financière des sociétés de traitement et distribution d’eau. Selon une étude récente de la Banque mondiale sur la performance des services d’adduction d’eau en Afrique, la moitié des sociétés ne disposent pas de recettes suffisantes pour couvrir leurs coûts d’exploitation et d’entretien. Il faudra donc renforcer les capacités opérationnelles et la résilience des sociétés publiques ou privées, afin qu’elles puissent fournir de l’eau de bonne qualité, en quantité suffisante et à un tarif politiquement et socialement acceptable tout en étant viables financièrement.
Réutiliser les eaux usées. Dans de nombreux pays, les eaux usées deviennent une autre manière de répondre à la demande en eau, surtout autour des zones urbaines où se développent des périmètres maraîchers indispensables pour nourrir les habitants des villes. En Israël, par exemple, 91 % des eaux usées sont traitées et 71 % servent à l’irrigation des cultures. Or dans les pays africains, seules 10 % des eaux usées sont traitées. En réutilisant davantage l’eau pour irriguer les terres agricoles, ces pays pourront assurer la sécurité alimentaire du continent tout en appliquant des approches d’économie circulaire et de sécurité de l’eau.
La crise sanitaire historique que nous traversons va frapper durablement l’économie mondiale, mais elle portera un coup encore plus dur aux économies africaines fragiles. Plus ces dernières réagiront vite, plus elles seront résilientes. Et une riposte durable au Covid-19 et aux pandémies qui lui succéderont ne pourra occulter l’eau et l’assainissement.
Fadel Ndaw est ingénieur en eau et assainissement à la Banque mondiale.