• SOCIETE Mehdi Alioua : "20.000 migrants au Maroc risquent une catastrophe humanitaire"

De nombreux immigrés en règle, ayant été licenciés ou mis au chômage technique, ainsi que la quasi-totalite des clandestins n’ont plus aucune source de revenus pour s’alimenter. Selon le sociologue Mehdi Alioua, le prolongement du confinement risque d’affamer des dizaines de milliers de personnes oubliées des aides de l’Etat.

Au Maroc, comme souvent ailleurs, les migrants régularisés en 2014 et 2016 et ceux dont le titre de séjour a expiré ou qui ont toujours été clandestins ne figurent pas parmi les priorités des pouvoirs publics. Qu’ils soient subsahariens ou Syriens, face à l’état d’urgence, ils n’arrivent plus à se débrouiller seuls et n’ont d’autre choix que de s’en remettre au bon cœur des autorités publiques et de la société civile.

Migrants réguliers ou clandestins souffrent autant

Sollicité par Médias24, le sociologue Mehdi Alioua, ex-président du GADEM (Groupe antiraciste d'Accompagnement et de Défense des Etrangers et Migrants) déclare que la majorité des régularisés ont perdu leurs emplois et que les clandestins ne peuvent plus travailler dans l’informel ou mendier.

"Les salariés déclarés à la CNSS (télé opérateurs…) s’en sortiront mieux en bénéficiant de l'indemnité forfaitaire (2.000 DH) initiée par l’Etat et les très rares détenteurs d’une carte RAMED valide à fin 2019 pourront demander l’aide d’urgence (800 à 1.200 DH). Mais les autres, qu'on estime à presque 20.000 personnes auront du mal à assurer leur subsistance alimentaire", avance, pessimiste, Alioua.

"Seuls quelques milliers dans les grandes villes ayant un réseau social (famille, amis marocains …) et proches des associations auront la capacité de faire valoir leurs droits", explique notre interlocuteur qui ajoute qu’en l’absence de contacts récents avec l’observatoire de la migration du ministère de l’intérieur, il lui est difficile d’évaluer le chiffre d’éventuelles demandes d’aide financière à l’Etat.

Précisons que nous n’avons pas été en mesure d’obtenir les chiffres d’étrangers licenciés ou au chômage technique et des Ramédistes éligibles à l’obtention d’une des aides mises en place par l’Etat

"Sachant que les plus démunis vivaient, pour l’essentiel, de l’aide des associations ou de l’aumône dans les ronds-points urbains et qu’ils ne peuvent plus se déplacer, leur situation va devenir critique.

Une situation qui va s’aggraver faute de prise en compte de l’Etat

"A l’image des couches marocaines très démunies n’ayant habituellement aucune visibilité financière au-delà de 48 heures, leur sort suscite de grandes inquiétudes vu l’absence de filet social.

"Il est normal que l’Etat ait des priorités à traiter car, comme partout ailleurs, les autorités ont commencé par aider les entreprises, les salariés déclarés à la CNSS, les Ramédistes puis les démunis mais ceux en bas de l’échelle comme les migrants n’ont pas encore été pris en compte.

"Etant confinés comme tout le monde, nous n’avons aucune nouvelle de ce côté mais cela ne veut pas dire que des mesures ne sont pas à l’étude pour ces populations en situation critique.

Des humanitaires qui ont du mal à remplir leur mission

"Concernant la société civile, plusieurs associations essayent de les aider mais commencent à paniquer car elles n’y arrivent plus ou alors très difficilement avec les contrôles des déplacements." C’est notamment le cas de l’association Orient-Occident qui a tiré, il y a déjà 15 jours, la sonnette d’alarme avec un communiqué prédisant, à court-terme, une véritable catastrophe humanitaire.

"Ayant des centaines de personnes dans son réseau, elle ne peut plus les faire venir à son siège ou se déplacer chez elles pour les aider. En effet, amener un panier alimentaire est déjà compliqué mais à 300 ça devient une maraude quasiment impossible à accomplir par les temps qui courent.

"D’autres associations comme AMS (Association Maroc Solidaire) récemment créée qui est partenaire du GADEM et de ALECMA (Lumière sur les migrations clandestines au Maroc) gérée par d’ex-sans-papiers, essayent d’identifier les migrants dans le besoin en leur envoyant des mandats.

"Le problème est que sans carte de séjour ou de passeport avec un tampon d’entrée de moins de 3 mois, les sociétés de transfert d'argent refusent de délivrer les mandats de 300 dirhams envoyés hebdomadairement aux migrants nécessiteux.

Demande d’une régularisation de fait pendant l’état d’urgence

"Pour y remédier, nous appelons les autorités à effectuer une régularisation automatique des clandestins comme l’a fait récemment le Portugal. "Il ne s’agit pas d’une énième campagne avec constitution de dossiers, rassemblements aux guichets .. mais plutôt de faire en sorte que chaque étranger détenteur d’une pièce d’identité même périmée (CIN, carte de séjour, passeport …) soit considéré en règle pour se déplacer sans peur de la police et puisse bénéficier des mêmes droits (médicaux …) que ceux qui ont un titre de séjour.

Les clandestins affamés qui étaient cachés dans les forêts fuient vers les villes

"Sans quoi, la situation va devenir catastrophique car, selon nos retours, de très nombreux migrants, dont des enfants, sont en détresse et déjà en sous-alimentation avec un seul repas tous les 2 jours.

"Juste dans la région de Nador, on compte 2.000 personnes qui n’ont plus accès aux aides alimentaires des associations à qui les autorités ont demandé de cesser tout déplacement à la veille du 20 mars. Certes, cela évite des risques de propagation du virus mais entraine aussi des carences alimentaires."C’est le cas de ceux qui habitent dans les camps improvisés situés dans les forêts de Belyounech à côté de Sebta, de Gourougou vers Mellilia où survivent plusieurs centaines de migrants. Ces derniers ne vivent plus que de charité des riverains et des associations qui tâchent de les nourrir.

"Sans exagérer, c’est un vrai drame qui risque de s’accentuer avec le prolongement du confinement. Ces personnes qui voulaient passer en Espagne n’ont désormais comme choix de survie que de fuir à pieds vers les grandes villes du centre du Maroc où ils pensent trouver refuge et pitance.

Certaines autorités locales se substituent à l’Etat pour aider les migrants

"Certains sont partis de plusieurs villes du nord comme Tanger et ont réussi à atteindre Kénitra où ils ont été bloqués par les autorités après avoir parcouru des centaines de kilomètres à pied.

"Dans ce cas, la seule bonne nouvelle est qu’ils ont été placés dans un ancien orphelinat Dar Kbira où ils sont logés et nourris. D’autres ont été parqués dans d’autres villes et se plaignent, via des vidéos, de leurs conditions sommaires mais je pense qu’ils sont plus en panique qu’autre chose.

"Quoi qu’il en soit, il y a aussi des témoignages de clandestins contents d’avoir été pris en charge et de ne pas mourir de faim", conclut le sociologue qui espère des solutions rapides de l’Etat aux "trop nombreux cas non pris en charge qui pourraient déboucher sur de véritables drames humains".

 

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