EXPULSIONS CONTRE VISAS : LE DROIT À LA MOBILITÉ MARCHANDÉ

La révision du code des visas Schengen prend effet à partir du 2 février 2020. Elle impose de nouvelles restrictions d’accès à l’espace Schengen, incite les Etats non européens à coopérer pour l’expulsion de leurs ressortissant·e·s et favorise le business des entreprises privées.

La délivrance des visas constitue un élément essentiel de la politique migratoire des Etats membres de l’UE, leur permettant de sélectionner les personnes étrangères que l’UE veut attirer (touristes, travailleur·se·s très qualifié·e·s) et d’écarter celles et ceux qu’ils désignent comme une « menace migratoire ». Alors qu’un·e citoyen·ne français·e peut se rendre dans 124 pays sans effectuer aucune démarche consulaire, un·e citoyen·ne afghan·e n’est exempté·e de l’obligation de visas que pour 30 pays.

La politique des visas Schengen constitue le premier obstacle auxquels doivent faire face celles et ceux qui souhaitent se rendre en Europe. Faute de pouvoir voyager avec des documents en règle parce qu’elles sont soupçonnées d’être un « risque migratoire », de nombreuses personnes sont contraintes d’emprunter des voies d’entrée irrégulière plus longues et plus dangereuses. 

Obsédés par l’amélioration des « taux d’expulsion », l’UE et ses Etats membres ne cessent de développer les instruments politiques visant à inciter les Etats non européens à participer activement au retour des personnes qu’ils souhaitent maintenir à l’écart du territoire européen.  

Dans ce sens, le nouveau code des visas Schengen prévoie de procéder à l’évaluation du degré de coopération des Etats non européens en matière de réadmission. Le résultat de cette évaluation permettra d’adopter une décision de facilitation de visa pour les « bon élèves » ou à l’inverse, d’imposer des mesures de restrictions de visas aux « mauvais élèves ».   

Cette stratégie européenne, loin d’être nouvelle, est largement partagée par nos autorités françaises qui ont récemment confirmé – à travers l’annonce de « 20 décisions pour améliorer la politique d’immigration, d’asile et d’intégration » – leur volonté de « mettre les enjeux migratoires au cœur de l’action diplomatique » en conditionnant, entre autres, la délivrance des visas à celles de « laisser passer consulaires » permettant la mise en œuvre des expulsions. 

La réforme renforce les inégalités en matière de circulation par un accès au visa à plusieurs vitesses, directement corrélé avec le degré de coopération des Etats tiers dans les processus de réadmission.  

  • Le prix de principe du visa augmente : un visa se paiera désormais 80 euros pour un adulte (contre 60 jusqu’à présent) et 40 euros pour un enfant âgé de 6 à 12 ans (contre 35 actuellement). Mais le prix peut atteindre 160 euros si l’Etat d’origine est particulièrement peu coopératif ou, à l’inverse, être rabaissé à 60 euros pour les ressortissant·e·s d’un Etat coopérant.  
  • Le nouveau règlement ouvre la porte à des exigences de justificatifs différentes selon le pays depuis lequel est introduit la demande de visa : la Commission peut ainsi, sur la base d’une évaluation réalisée par les consulats français de la “situation locale et des risques en matière de migrations et de sécurité”, proposer des listes de justificatifs pour chaque “ressort territorial”. Autrement dit, des justificatifs plus nombreux pourront désormais être exigés d’une personne qui vit dans un pays dont la France souhaite limiter la circulation des ressortissant·es. 

D’autres mesures reflètent cette politique de la carotte et du bâton, parmi lesquelles la possibilité de réduire les délais d’instruction pour les bons élèves ou de réduire ou d’allonger les durées de validité des visas. 

Par ailleurs, alors que le recours par les consulats à des sociétés sous-traitantes n’était jusqu’à présent autorisé qu’en dernier ressort, il est désormais encouragé et le maintien d’un accès direct au consulat pour les demandeurs et demandeuses de visa  n’est même plus obligatoire. Cette pratique constitue une entrave forte à l’accès au visa, les sous-traitants facturant aux personnes un coût pouvant aller de 50% à 100% du prix du visa. Ces sous-traitants profitent d’ailleurs au passage de l’augmentation générale des frais de visa.  

Pour aller plus loin 

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