Investissement « Toutes les prérogatives liées à la terre devraient être réunies au sein d’un ministère indépendant » (Joseph Feyertag, ODI)

(Agence Ecofin) - Ces dernières années, l’idée selon laquelle l’Afrique possèderait de vastes terres arables « libres » qui ne demandent qu’à être valorisées pour développer la production agricole, s’est répandue. Cela aiguise les appétits de nombreux spéculateurs fonciers et certains Etats ont même réformé leur législation pour attirer des investissements étrangers dans le foncier. Mais cette conception, reflète-t-elle vraiment les réalités du terrain ? Non, d’après Joseph Feyertag, chercheur à Overseas Development Institute (ODI). Dans un entretien accordé à l’Agence Ecofin, l’expert indique que le paysage foncier du continent est loin d’être aussi disponible quand on prend en compte la complexité des réalités locales.

Agence Ecofin : La vision d’un continent africain disposant d’un important réservoir de terres arables « inexploitées » est-elle justifiée selon vous ?

Joseph Feyertag : Je dirai à la fois oui et non. D’abord, presque toutes les terres localisées en Afrique sont revendiquées. Au niveau des droits fonciers, cela implique souvent une complexité de situations au niveau individuel, communautaire, coutumier et étatique. Cela signifie que la terre a plusieurs propriétaires. Une famille peut détenir la terre et l’assigner à un individu. Mais la terre peut également être détenue par la communauté ou la chefferie, tout en étant répertoriée comme appartenant aux autorités locales.

Joseph Feyertag : « La complexité de la gouvernance foncière créée de nombreuses incertitudes.»

En matière de disponibilité de terres, il y a très peu de parcelles qui n’appartiennent pas à des individus, à la communauté ou à l’Etat. Maintenant, quand on parle de terres inexploitées, je pense que la question est beaucoup plus complexe.

« En l’absence de clarté, les personnes qui travaillent sur la terre, en majorité les femmes, ne sont pas en sécurité par rapport à leurs droits fonciers. Elles s’inquiètent du fait d’être dépossédées de la terre par le gouvernement, les chefs ou encore d’autres membres du voisinage ou de la communauté.»

Il y a de toutes les façons, un vrai potentiel en Afrique, en ce qui concerne la mise en valeur des terres pour l’augmentation de la production agricole. Mais, il faut savoir que la complexité de la gouvernance foncière créée de nombreuses incertitudes. En l’absence de clarté, les personnes qui travaillent sur la terre, en majorité les femmes, ne sont pas en sécurité par rapport à leurs droits fonciers. Elles s’inquiètent du fait d’être dépossédées de la terre par le gouvernement, les chefs ou encore d’autres membres du voisinage ou de la communauté.

« Il y a très peu de parcelles qui n’appartiennent pas à des individus, à la communauté ou à l’Etat. »

Cela les empêche de faire des investissements productifs dans la terre, qui pourraient leur permettre d’accroître la productivité agricole. Par exemple, un exploitant n’a aucune raison de faire un investissement à long terme comme la mise en place de cultures pérennes s’il redoute que la terre soit confisquée dans 5 ans.

AE : Avez-vous des estimations par rapport à la superficie réelle de terres arables inexploitées en Afrique ?

Joseph Feyertag : Je n’ai pas d’estimations et je serais même sceptique par rapport aux chiffres qui sont avancés. La Banque mondiale a une fois estimé que l’Afrique possédait plus de 200 millions d’hectares de terres arables qui n’étaient pas utilisées pour la production agricole. Cependant, la réalité est qu’aucune de ces terres n’est vraiment « libre ».

Restauration de terres dans le Karoo, en Afrique du Sud.

La plupart des terres en Afrique sont utilisées sous une forme ou une autre. Dans les zones rurales, si elles ne sont pas utilisées pour la production végétale, elles sont exploitées comme des lieux de pâturage pour assembler le fourrage pour le bétail ou même pour faire la chasse, sans forcément être étiquetées avec un titre de propriété précis.

AE : Cela veut donc dire que les terres dites « libres » ne le sont pas vraiment…

Joseph Feyertag : Le problème avec ces estimations est qu’elles se basent sur l’idée étroite d’une possession légale de la terre par un individu ou l’Etat. Une grande majorité, environ deux tiers des terres en Afrique subsaharienne, est détenue sous le régime foncier coutumier ou en tout cas sous un régime traditionnel. Des efforts ont été réalisés dans de nombreux pays pour formaliser cette forme de propriété foncière, par exemple en utilisant la certification foncière communautaire. Mais globalement, le pourcentage des propriétaires fonciers en Afrique possédant une certification formelle de leur titre de propriété foncière, que cela soit de manière individuelle ou conjointe, est très faible.

« Une récente étude de la plateforme Prindex a révélé que seulement 63 % des propriétaires fonciers en Afrique subsaharienne disposaient d’un document officiel pour prouver leur droit de propriété sur leur maison ou leur propriété.» 

Une récente étude de la plateforme Prindex a révélé que seulement 63 % des propriétaires fonciers en Afrique subsaharienne disposaient d’un document officiel pour prouver leur droit de propriété sur leur maison ou leur propriété, comparativement à 99 % en Amérique du Nord. Dans des pays comme la Sierra Leone, la part des propriétés foncières enregistrées de manière formelle est encore plus faible. Il est vrai qu’une terre qui n’est pas reconnue de manière formelle est sujette à des abus, soit par les acteurs étrangers ou des élites locales qui peuvent manipuler le système en leur faveur, et ce, même si la terre est détenue par une famille ou une communauté à travers des générations, voire sur des centaines d’années.

« La plupart des terres en Afrique sont utilisées sous une forme ou une autre.»

Mais d’un autre côté, la sécurité garantie par les systèmes traditionnels ou coutumiers peut être très forte dans la mesure où tout le monde dans le voisinage ou dans la communauté sait qu’une parcelle donnée est détenue par une famille particulière. Cependant, de manière fondamentale, ces droits ont besoin d’être inscrits dans la loi. Généralement, ils ne le sont pas, ce qui cause de l’incertitude et des griefs, surtout lorsque les étrangers sont impliqués. C’est pourquoi il y a des efforts en cours actuellement dans plusieurs pays africains pour délivrer des titres de propriété individuels comme au Rwanda ou des titres communautaires comme en Zambie.

AE : Vous évoquiez la nécessité d’accélérer le processus de recensement des terres par les gouvernements et de formalisation de la propriété foncière. Comment ce processus peut-il se mettre en place en prenant en compte les réalités rurales ?

Joseph Feyertag : Il s’agit d’une question épineuse. Mais il y a certains succès. Je citerai le Rwanda comme un bon exemple de réussite qui peut être atteint sur le continent. Après le génocide, le gouvernement, dans le cadre de sa stratégie de réconciliation et de paix, a enregistré chacune des parcelles dans le pays. Au bon moment, les donneurs internationaux comme le Royaume-Uni sont venus apporter l’appui technique et les fonds nécessaires pour entreprendre l’enregistrement massif des terres. Il y a aussi le programme foncier « Land Investment for Transformation (LIFT) » en Ethiopie qui a bénéficié d’un soutien similaire. Une autre manière d’accélérer le recensement est l’utilisation de la technologie digitale, comme la cartographie des terres en utilisant des technologies géospatiales. La digitalisation offre des possibilités pour enregistrer la terre de manière efficace et à un coût très faible, même si les utilisateurs doivent prendre en compte les communautés locales sur le terrain.

« La digitalisation offre des possibilités pour enregistrer la terre de manière efficace et à un coût très faible, même si les utilisateurs doivent prendre en compte les communautés locales sur le terrain. »

Cela étant dit, je pense surtout que la difficulté réside du côté des autorités politiques. Même s’il y a beaucoup de possibilités de financements internationaux pour les Etats africains afin de les aider à enregistrer de manière formelle, la volonté politique n’est pas toujours présente. Il y a une multitude de raisons qui expliquent cette situation. Dans certains gouvernements, les autorités en charge de la terre sont nombreuses. On peut notamment avoir pour la gestion du foncier, le ministère de l’Agriculture, le ministère de la Terre, le ministère du développement rural ou encore le ministère des Finances. Toutes les prérogatives liées à la terre de près ou de loin devraient être réunies au sein d’un ministère indépendant.

Dans d’autres pays, il y a des intérêts particuliers qui peuvent être menacés par une réforme foncière. Cela peut-être un membre du gouvernement, une banque, une compagnie ou un investisseur international qui possède un terrain qui pourrait être menacé par une réforme foncière. Cela peut amener certaines parties à utiliser leur pouvoir de véto pour retarder ou interrompre complètement le processus de réforme foncière.

Propos recueillis par Espoir Olodo

 

 

2- Riz

Filière riz : « Il faut passer par les petits transformateurs pour soutenir les producteurs » (Guillaume Soullier, Cirad)

  • Date de création: 30 octobre 2020 16:05

EMAIL(Agence Ecofin) - Avec la pandémie de coronavirus, le marché mondial du riz a connu sur les derniers mois quelques soubresauts, en raison des restrictions à l’exportation appliquées par certains fournisseurs de la denrée. Dans de nombreux pays importateurs, ces mouvements ont ravivé les craintes d’une perturbation de l’approvisionnement de la céréale préférée des citadins. Si actuellement, la tendance est à l'accalmie, Guillaume Soullier, chercheur au Cirad, appelle à un soutien accru à la filière traditionnelle qui compte pour la quasi-totalité de la production de la région. Dans un entretien accordé à l’Agence Ecofin, l’expert explique le bien-fondé de la contractualisation dans la filière.

Agence Ecofin : Pouvez-vous nous donner une idée de la situation de la chaîne de valeur rizicole et de ses principaux acteurs dans la région ouest-africaine ?

Guillaume Soullier : Je peux dire qu’il s’agit d’une chaîne de valeur que l’on caractérise comme traditionnelle. Il y a beaucoup de petits acteurs qui travaillent parfois dans l’informel, possèdent peu de capital et gèrent de petits volumes. Au niveau de la production, il s’agit surtout de producteurs familiaux qui cultivent de petites surfaces.

Guillaume Soullier : « La filière dite artisanale, qui fournit 99 % du riz local, doit être soutenue. »

Le système de production est essentiellement pluvial et représente 4/5e des superficies emblavées. Il y a toutefois des zones où l’irrigation est concentrée comme dans la vallée du fleuve Sénégal et dans l’Office du Niger au Mali. Les producteurs ont une contrainte importante de financement, d’accès aux intrants et il y a des défis concernant la qualité des approvisionnements. Au niveau de la transformation, on a de petites unités avec des décortiqueuses villageoises, notamment au Sénégal. Il s’agit globalement de technologies simples et des mini-rizeries. Cette filière traditionnelle fournit 99 % du riz produit en Afrique de l’Ouest. A côté de ces acteurs, il y a des unités modernes dites semi-industrielles ou industrielles qui fournissent moins de 1 % du riz ouest-africain.

AE : Quels sont les impacts potentiels du coronavirus sur le marché rizicole africain, en ce qui concerne les perturbations de l’approvisionnement depuis l’étranger ou le fonctionnement des circuits de distribution locaux ?

GS : Le Cirad dispose d’un réseau d’expatriés et de partenaires qui permet de suivre les évolutions en Afrique de l’Ouest. Les dernières informations que j’ai reçues de mes collègues sur le terrain n’indiquent pas une rupture majeure d’approvisionnement, ni pour le riz local ni pour le riz importé. Au début de la crise, on a posé des hypothèses sur une probable hausse des prix à l’importation. On a aussi anticipé une baisse possible de la production domestique avec le ralentissement de l’économie et les restrictions sur les importations d’engrais ou de pesticides.

« Le niveau des stocks de l’Afrique de l’Ouest était plutôt élevé et il n’y a pas eu de rupture majeure du commerce mondial. Les récoltes paraissent plutôt bonnes en Asie.»

En pratique, il y a eu un ralentissement de l’économie mondiale, une période de baisse du commerce global du riz avec la limitation des exportations de l’Inde, du Vietnam et du Cambodge. Mais cela a été de courte durée. Le niveau des stocks de l’Afrique de l’Ouest était plutôt élevé et il n’y a pas eu de rupture majeure du commerce mondial. Les récoltes paraissent plutôt bonnes en Asie. Même s’il y a des perturbations climatiques, il y a des augmentations de superficies en Chine et en Inde. Donc, pour le moment on est encore loin d’un scénario de rupture du commerce international du riz. Il y a eu certes une hausse contextuelle des cours en 2020, avec le prix de la tonne de riz thaïlandais à 5 % de brisures qui a atteint 480 $ contre 400 $ en 2019, mais cela s’est calmé depuis et, en septembre, les prix ont rejoint les niveaux de 2019.

« Pour ce qui est de l’approvisionnement en riz local en Afrique de l’Ouest, il n’y a pas eu de ralentissement des récoltes à venir dans la plupart des pays ouest-africains, et la pluviométrie est bonne.»

Pour ce qui est de l’approvisionnement en riz local en Afrique de l’Ouest, il n’y a pas eu de ralentissement des récoltes à venir dans la plupart des pays ouest-africains, et la pluviométrie est bonne. Le Mali parait toutefois faire face à une réduction de l’accès aux intrants des producteurs de l’Office du Niger, ce qui risque de baisser la productivité. Mais on n’est quand même pas dans un scénario de rupture des approvisionnements en riz local.

AE : Vous soulignez que la pandémie pourrait être d’une part une opportunité pour les chaînes de valeur rizicoles locales. Comment cela peut-il se traduire ?

GS : Cela passe par une intervention des Etats. En 2008, avec la première crise des prix, on a eu rapidement un renforcement des moyens étatiques visant à renforcer la production de riz local, avec certains pays qui ont lancé des politiques d’autosuffisance. Il y a eu une augmentation des moyens mis au profit des filières, surtout au niveau de la production.

« La consommation augmente tellement vite qu’il est très difficile de la rattraper.»

Toutefois, la consommation augmente tellement vite qu’il est très difficile de la rattraper. Je dois dire que la crise du coronavirus rappelle un peu l’incertitude qu’il peut y avoir à s’approvisionner sur les marchés mondiaux. Même si l’effet est moins prononcé, on est encore dans un contexte teinté d’incertitudes. Des élections s’annoncent dans plusieurs pays en Afrique de l’Ouest comme le Mali, le Ghana et la Côte d’Ivoire et cela pourrait renforcer la volonté des Etats de soutenir des filières locales.

AE : Vous préconisez la création d’un environnement favorable à l’investissement direct étranger dans la modernisation de la chaîne de valeur rizicole, plutôt que des investissements publics directs. Pourquoi privilégiez-vous une telle approche ?

GS : Ceci n’est qu’une partie de notre message, et nous recommandons surtout un soutien aux filières traditionnelles du riz, en particulier aux petits transformateurs. Dans ce contexte où les ressources des gouvernements sont rares, l’investissement privé peut servir de levier. Les investissements étrangers dans la filière rizicole introduisent notamment différents types de technologies qui ne sont pas sur place. Cela donne lieu à des niveaux de qualité différents de ceux fournis par les acteurs de la filière traditionnelle.

Mais il y a une segmentation du marché en Afrique de l’Ouest avec des attentes vis-à-vis des niveaux de qualité de riz et de prix qui sont différents. Je ne dis donc pas que ce sont uniquement les investissements étrangers qui doivent venir changer les filières locales et booster la production. Les investissements étrangers dans la production et la transformation sont d’ailleurs minoritaires actuellement parce qu’il y a beaucoup d’incertitudes pour entrer dans ce domaine. Il y a eu surtout des investissements au Sénégal et au Nigeria et, dans une moindre mesure, au Mali, au Sénégal, au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire.

« Il y a eu surtout des investissements au Sénégal et au Nigeria et, dans une moindre mesure, au Mali, au Sénégal, au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire.»

Les grandes usines rencontrent des problèmes d’approvisionnement. Je pense fondamentalement qu’il y a une complémentarité entre les investissements privés étrangers dans des technologies modernes, et les unités artisanales de décorticage.

« La contractualisation dans les filières locales permet d’avoir un premier niveau de la gestion de la qualité. »

Je pense que c’est la filière dite artisanale, qui fournit 99 % du riz local, qui doit être soutenue. Il y a des acteurs qui rencontrent des contraintes de financement et surtout de trésorerie et qui fournissent un riz de qualité incertaine, moins bon que le riz importé. Ce sont autant de points sur lesquels l’Etat peut les appuyer.

AE : Comment est-ce que la filière traditionnelle peut améliorer la qualité du riz produit ?

GS : J’ai un collègue, Matty Demont, à l’Institut international de recherche sur le riz (IRRI), dont c’est le sujet de prédilection. D’après lui, le riz local a des qualités organoleptiques que les consommateurs africains apprécient. Mais il y a d’autres types d’attributs de qualité importants pour les consommateurs. Il s’agit notamment du packaging, de la question de l’homogénéité des grains et l’absence d’impuretés. C’est cela qui joue dans le choix des consommateurs. Son propos est de dire qu’il faut investir dans la gestion de la technologie, mais aussi de l’approvisionnement au niveau des usines locales et également dans la communication sur la qualité du riz local en améliorant l’emballage.

« Il faut investir dans la gestion de la technologie, mais aussi de l’approvisionnement au niveau des usines locales et également dans la communication sur la qualité du riz local en améliorant l’emballage.»

Et je pense qu’il faut les contrats qui permettent de financer les producteurs et posent des critères de qualité sur le paddy. Cela est important parce que c'est l’une des choses qui vont conditionner la qualité du riz local. La contractualisation dans les filières locales permet d’avoir un premier niveau de la gestion de la qualité.

AE : La production de riz sous contrats est selon vous une des clés pour un approvisionnement sécurisé en riz de qualité et de réduction de la fragmentation des chaînes de valeur. Quels sont les défis et opportunités qui y sont liés ?

GS : Les travaux que nous réalisons au Cirad montrent que ce sont les acteurs de la transformation qui peuvent jouer un rôle important. Comme vous le savez, les banques commerciales prêtent difficilement aux producteurs. Il y a beaucoup de banques agricoles étatiques qui ont accumulé des impayés parce que les producteurs avaient du mal à rembourser. Les acteurs de la transformation qui ont de la proximité avec les producteurs peuvent jouer un rôle intermédiaire là où on accède aux crédits bancaires et soutenir aussi le développement de la filière. Dans le cadre de contrats de production et de fourniture de ressources, c’est le transformateur qui va fournir des intrants aux producteurs comme les semences améliorées, des engrais pour des rendements plus importants. Il va aussi y avoir des critères de qualité qui vont être spécifiés et qui ont rapport par exemple aux taux d’impuretés ou d’humidité. Passer par les petits transformateurs pour soutenir les producteurs permettrait de réduire l’incertitude du remboursement, et d'améliorer la qualité.

« Passer par les petits transformateurs pour soutenir les producteurs permettrait de réduire l’incertitude du remboursement, et d'améliorer la qualité. »

Le problème majeur est celui du remboursement de ce contrat par le producteur. Celui-ci doit fournir le paddy pour rembourser le crédit qu’il a reçu sous forme d’intrants. A ce niveau, il y a des risques de ventes parallèles, c’est-à-dire que le producteur va livrer le riz paddy à quelqu’un d’autre que le fournisseur de départ et ne pas rembourser le crédit. Par rapport à d’autres produits agricoles, le paddy n’est pas une denrée périssable, comme la tomate par exemple, donc il y a plus de risques de ventes parallèles. La question est de savoir comment on fait pour assurer le remboursement de ce crédit.

« Donc les contrats qui fonctionnent le mieux, c’est quand les gens se connaissent. C’est vraiment la proximité relationnelle et géographique entre le producteur et le transformateur qui permet de sécuriser le remboursement des contrats.»

Il y a des gens qui pensent que la justice devrait régler cela, mais en fait les acteurs avec lesquels je suis en contact ne veulent pas que la justice s’en mêle. Ils trouvent que c’est risqué de se tourner vers la justice ou même un tribunal de commerce. Donc les contrats qui fonctionnent le mieux, c’est quand les gens se connaissent. C’est vraiment la proximité relationnelle et géographique entre le producteur et le transformateur qui permet de sécuriser le remboursement des contrats.

AE : Quelles sont les marges de manœuvre des gouvernements dans ces schémas ?

GS : Au Sénégal, le développement de la filière a plutôt bien marché avec la présence de la Caisse nationale de crédit agricole du Sénégal (CNCAS). Il y a eu une intervention de l’Etat parce qu’il y a parfois des impayés et l’Etat est obligé de renflouer les caisses. Donc, l’Etat peut intervenir en subventionnant des banques agricoles qui prêtent aux transformateurs qui mettent eux-mêmes en place des contrats avec les producteurs. Il y a un réel besoin pour cela.

« Si les mini-rizeries ont un problème de trésorerie pour fournir à la fois des semences, des engrais, des pesticides et des herbicides aux producteurs, elles se limitent en conséquence à un petit nombre de producteurs.»

En Côte d’Ivoire, par exemple, au cours des 10 dernières années, il y a eu beaucoup d’investissements dans les mini-rizeries qui sont des unités artisanales, mais capables de faire du riz de qualité, qui ont mis en place des petits contrats avec les producteurs pour gérer la qualité du paddy et sortir un produit final de meilleure qualité. Mais elles font très peu de contrats parce qu’elles ont des contraintes sur le financement. Si les mini-rizeries ont un problème de trésorerie pour fournir à la fois des semences, des engrais, des pesticides et des herbicides aux producteurs, elles se limitent en conséquence à un petit nombre de producteurs. Si ces mini-rizeries avaient accès à un crédit par le biais d’une banque, elles pourraient augmenter le nombre de contrats avec les producteurs et mieux contribuer au développement de la filière.

Propos recueillis par Espoir Olodo

 

 

 

 

3- Gouvernance économique

« L’Afrique gagnerait à revoir les lois qui régissent la fiscalité des multinationales », Léonce Ndikumana

  • Date de création: 23 octobre 2020 12:06

 Dernière modification le: 23 octobre 2020 18:12

 

 

(Agence Ecofin) - Alors que les pays du monde font face à la difficulté de mobiliser des ressources pour faire face à la covid-19, l’ICRICT (la Commission indépendante pour la réforme de la fiscalité internationale) a saisi l’occasion pour appeler de nouveau à une accélération des réformes en matière de fiscalité des multinationales. Léonce Ndikumana compte parmi les pionniers de la lutte contre les flux financiers illicites et les abus fiscaux en Afrique. Professeur émérite d'économie et directeur du programme de politique de développement africain à l'Institut de recherche en économie politique (PERI) de l'Université du Massachusetts Amherst, il est membre de l’ICRICT et professeur honoraire à l’Université de Cape Town et à l’Université de Stellenbosch en Afrique du Sud. Il a accepté de répondre aux questions de l’Agence Ecofin.

Agence Ecofin : Vous participez aujourd'hui à une campagne internationale dans laquelle il est question d'aller plus vite dans la réforme fiscale des multinationales. Quels sont les enjeux ?

Léonce Ndikumana : La réforme de la fiscalité internationale des entreprises est urgente pour plusieurs raisons.

Premièrement, comme l'ont démontré la pandémie de covid-19 et la crise économique qui a suivi, la capacité des gouvernements à intervenir et à protéger l'économie et la population de la crise dépend essentiellement de leur espace budgétaire. Cela est déterminé principalement par le volume des recettes intérieures, et la soutenabilité de leur dette extérieure.

Deuxièmement, dans les pays en développement, plus encore que dans les pays développés, l'impôt sur les sociétés est une source importante des recettes publiques. Lorsque les entreprises internationales se soustraient au paiement des impôts, cela compromet gravement la capacité du gouvernement à mobiliser des recettes nationales. Le FMI a estimé que les pertes fiscales annuelles des sociétés associées au transfert de bénéfices vers les paradis fiscaux dépassent 500 milliards de dollars, dont environ 200 milliards pour les pays en développement. S'ils étaient collectés, ces revenus pourraient contribuer grandement à combler les déficits de financement auxquels sont confrontés les pays en développement dans leurs efforts pour atteindre les objectifs du développement durable.

Troisièmement, une fiscalité des entreprises juste et efficace est une question de justice sociale. D'une part, ces entreprises utilisent des infrastructures et des services publics financés par les recettes fiscales ; il est donc juste qu'elles contribuent au financement de ces biens et services publics en payant des impôts appropriés. D’autre part, il est injuste, voire immoral que les multinationales paient moins d'impôts que leurs employés. En fait, certaines des méga entreprises, en particulier les géants du numérique (Google, Facebook, Amazon) ne paient souvent pas d'impôts, alors que leurs employés n'ont aucun moyen de se soustraire à leurs impôts qui sont prélevés à la source.

AE : L'OCDE a récemment reconnu l'influence négative des multinationales dans la mobilisation des ressources fiscales des pays. Comment comprendre qu'une organisation aussi puissante que l’OCDE ne parvienne pas à discipliner les grands groupes ? 

LN : Le fait que l'OCDE ait enfin reconnu l'influence négative des multinationales dans la mobilisation des ressources fiscales des pays est un pas important dans la bonne direction, mais on se demande pourquoi il a fallu si longtemps pour y parvenir.

L'OCDE dispose d'un énorme levier - économique et politique - qui peut être utilisé pour influencer des réformes de fond de la fiscalité internationale des entreprises. Ses membres sont le siège des sociétés multinationales en question et détiennent donc les leviers juridiques qui peuvent être activés pour garantir que ces sociétés paient leur juste part d'impôts.

Il y a deux problèmes de fond.

Premièrement, les multinationales exercent une influence substantielle à travers le lobbying politique sur la conception et la mise en œuvre des lois fiscales, faisant pencher la balance en leur faveur, leur permettant ainsi d'éviter « légalement » de payer des impôts appropriés.

Ainsi, les impôts sur les sociétés ont diminué au fil du temps. Par exemple, aux Etats-Unis, le taux d'imposition des sociétés a été réduit de 35% à 21% en 2018. Entre temps, l'impôt sur le revenu des particuliers a atteint 37% (le plus élevé est de 39,6%). Cela illustre l'inégalité de la charge fiscale qui pèse de manière disproportionnée sur les salariés par rapport aux propriétaires de capitaux.

Le deuxième problème est l'application inefficace des lois qui permet aux entreprises d'éviter de payer même les modestes obligations fiscales prévues par la loi. Malheureusement, les systèmes juridiques sont également beaucoup plus indulgents vis-à-vis des entreprises et des individus riches qui sont en mesure de payer leur échappatoire en cas de violation des lois fiscales. En un mot, nous avons de sérieux problèmes avec des lois fiscales biaisées en faveur des multinationales et une application inefficace des lois en vigueur.

Les multinationales ont un pouvoir politique et économique qui sape la volonté politique et l'efficacité pratique de l'OCDE en tant que leader de la réforme de la fiscalité. Cela souligne la nécessité de transférer ce rôle à un organe plus inclusif, notamment les Nations unies, où tous les pays peuvent avoir une voix égale autour de la table de négociation.

AE: L’Afrique dans cette bataille est celle qui perd le plus. Selon la CNUCED, le continent a perdu 88 milliards $ en moyenne entre 2013 et 2015. Mais on a l'impression que si au niveau régional on se bouge un peu, les pays eux continuent la compétition fiscale. Comment comprendre cette situation ?

LN: Le rapport de la CNUCED de 2020 sur le développement économique en Afrique fait part ce que nous avons souligné dans nos recherches au cours des deux dernières décennies : l’Afrique subit une hémorragie constante de ses ressources par la fuite des capitaux. En 2001, nous avons souligné qu'au lieu d'être « aidée » par le monde, l'Afrique était en fait « un créancier net » du reste du monde, dans le sens où la richesse privée accumulée à partir de la fuite des capitaux et dissimulée à l'étranger dépasse largement ses engagements vis-à-vis du reste du monde, c’est-à-dire la dette extérieure. Aujourd'hui, la situation n'a fait qu’empirer : les sorties illicites de ressources du continent dépassent largement les ressources entrant dans la région sous forme d'aides publiques et de prêts ainsi que d'investissements privés.

Un des principaux moteurs de la fuite des capitaux et des flux financiers illicites est l'évasion fiscale sur les fonds transférés en contrebande à l'étranger, en plus de l'évasion des enquêtes judiciaires sur l'origine de ces fonds.

En effet, s'il y a eu des progrès dans la mobilisation au niveau régional contre les flux financiers illicites et l'évasion fiscale des entreprises, il y a moins de mouvements au niveau national. L'une des causes est une fois de plus la capacité des multinationales à exercer leur influence sur les gouvernements, à empêcher l'application des lois fiscales de façon à leur imposer un comportement transparent.

Un autre problème est le manque de capacité technique des gouvernements africains à appliquer même les lois en vigueur. Mais il y a aussi la question de la corruption, où les fonctionnaires du gouvernement sont soudoyés par des agents étrangers pour faciliter l'évasion fiscale et le transfert illicite de capitaux en dehors du continent.

AE: Quels conseils donneriez-vous aux gouvernements africains victimes des abus fiscaux des multinationales ?

LN: Tous les gouvernements africains sont dans une certaine mesure victimes d'abus fiscaux de la part des multinationales ; certains sont plus exposés que d'autres. En particulier, les pays riches en pétrole et en ressources minières sont particulièrement vulnérables aux abus fiscaux des multinationales. Elles profitent des contrats miniers complexes et injustes pour minimiser leurs obligations fiscales, ainsi que du transfert des bénéfices en utilisant les paradis fiscaux pour y comptabiliser leurs bénéfices tout en gonflant les dépenses dans les pays africains où ils font des affaires.

Sur le plan intérieur, les gouvernements africains doivent revoir leurs lois fiscales et leurs cadres réglementaires régissant la fiscalité des sociétés multinationales pour s'assurer qu'ils sont conformes aux meilleures pratiques mondiales. Pour ce faire, ils doivent solliciter l'assistance technique des organisations continentales (la BAD, la CEA, l’UA) pour tirer parti de leur expertise ainsi que de leur influence politique.

Les gouvernements devraient également assurer une communication transparente des paiements d'impôts par les sociétés multinationales afin à la fois de faire respecter la loi et de susciter un soutien public aux réformes fiscales. Mais les réformes nationales ne résoudront pas à elles seules le problème. Il est important qu’elles soient soutenues par des efforts concertés aux niveaux régional et mondial pour accroître la transparence et la responsabilité des entreprises multinationales. Et ici, le travail de l'ICRICT et de l'OCDE est très important.

AE: Quelles sont les propositions de l'ICRICT dont vous faites partie pour endiguer le phénomène des bas impôts payés par les multinationales ? 

LN: L'ICRICT a été à l'avant-garde des efforts mondiaux pour faire pression pour la réforme de la fiscalité des entreprises afin de garantir que toutes les entreprises paient leur part d'impôts et que tous les pays bénéficient équitablement des opérations des multinationales. L’une des principales propositions défendues par l’ICRICT est l’élimination de la pratique consistant à traiter les filiales et les succursales d’une société multinationale comme des entités distinctes ayant droit à un traitement distinct en vertu du droit fiscal. Il propose plutôt de traiter les sociétés multinationales comme des entreprises unifiées menant des activités commerciales au-delà des frontières internationales. Par conséquent, une multinationale doit être imposée en tant qu'entreprise unifiée, les taxes étant réparties entre les pays concernés sur la base de facteurs objectifs, tels que les ventes et l'emploi.

La deuxième réforme importante soutenue par l'ICRICT est le partage d'informations fiscales entre les pays, qui devrait être automatique, plutôt que d'être négocié sur une base bilatérale par chaque pays. Ces réformes bénéficieront à la fois aux pays développés et aux pays en développement, tout en contribuant à uniformiser les règles du jeu dans la conception et l’application de la fiscalité des entreprises dans le monde.

Entretien réalisé par Idriss Linge

 

4-

 Cameroun : à l’arrêt 3 mois après son démarrage, la laiterie de Maroua est de nouveau fonctionnelle grâce au soutien de l’UE

  • Date de création: 12 novembre 2020 10:22

(Agence Ecofin) - Mise à l’arrêt pour diverses difficultés, la mini-laiterie de Maroua reprend du service. L’unité agro-industrielle a bénéficié pour ce faire, d’un soutien de 100 millions FCFA de l’UE. Erigée dans l’Extrême-Nord du Cameroun, elle est dotée d’une capacité de transformation de 2000 l de lait par jour.

La mini-laiterie de Maroua, la capitale de la région de l’Extrême-Nord, l’un des principaux terreaux de l’élevage bovin au Cameroun, est de nouveau opérationnelle depuis le 5 novembre 2020, informe Investir au Cameroun. Mise en service en 2019, cette unité agro-industrielle avait été mise à l’arrêt trois mois plus tard, à cause de difficultés diverses, parmi lesquelles le défaut de matière première.

La reprise officielle des activités depuis le 5 novembre 2020, apprend-on, fait suite à un financement d’un montant de 100 millions FCFA, mis à disposition par l’Union européenne. « Le Cameroun importe 60 000 tonnes de produits laitiers pour une valeur de 240 milliards FCFA. Pourtant, nous voyons que le Cameroun, dans les régions septentrionales, a tous les éléments pour produire du lait, des produits laitiers en qualité et en quantité, pour répondre aux besoins des consommateurs locaux… », a expliqué au trihebdomadaire régional L’œil du Sahel, le représentant de l’UE à la cérémonie de Maroua.

Dotée d’une capacité de transformation de 2000 litres de lait par jour, la mini-laiterie de Maroua est le fruit d’un vaste programme gouvernemental qui a également permis de doter d’infrastructures similaires les villes de Garoua, dans le Nord ; Ngaoundéré et Meiganga, dans la région de l’Adamaoua.

BRM