PACTE EUROPÉEN SUR LES MIGRATIONS ET L’ASILE : LE RENDEZ-VOUS MANQUÉ DE L’UE

Le nouveau pacte européen migrations et asile présenté par la Commission ce 23 septembre, loin de tirer les leçons de l’échec et du coût humain intolérable des politiques menées depuis 30 ans, s’inscrit dans la continuité des logiques déjà largement éprouvées, fondées sur une approche répressive et sécuritaire au service de l’endiguement et des expulsions et au détriment d’une politique d’accueil qui s’attache à garantir et à protéger la dignité et les droits fondamentaux.


 
DES « NOUVEAUX » CAMPS EUROPÉENS AUX FRONTIÈRES POUR FILTRER LES PERSONNES ARRIVÉES SUR LE TERRITOIRE EUROPÉEN ET EXPULSER LE PLUS GRAND NOMBRE
En réaction au drame des incendies qui ont ravagé le camp de Moria sur l’île grecque de Lesbos, la commissaire européenne aux affaires intérieures, Ylva Johansson, affirmait le 17 septembre devant les députés européens qu’« il n’y aurait pas d’autres Moria » mais de « véritables centres d’accueil » aux frontières européennes.
Si le nouveau pacte prévoie effectivement la création de « nouveaux » camps conjuguée à une « nouvelle » procédure accélérée aux frontières, ces derniers s’apparentent largement à l’approche hotspot mise en œuvre par l’Union européenne (UE) depuis 2015 afin d’organiser la sélection des personnes qu’elle souhaite accueillir et l’expulsion, depuis la frontière, de tous celles qu’elle considère « indésirables ».
Le pacte prévoie ainsi la mise en place « d’un contrôle préalable à l’entrée sur le territoire pour toutes les personnes qui se présentent aux frontières extérieures ou après un débarquement, à la suite d’une opération de recherche et de sauvetage ». Il s’agira, pour les pays situés à la frontière extérieure de l’UE, de procéder – dans un délai de 5 jours et avec l’appui des agences européennes (l’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes – Frontex et le Bureau européen d’appui en matière d’asile – EASO) – à des contrôles d’identité (prise d’empreintes et enregistrement dans les bases de données européennes) doublés de contrôles sécuritaires et sanitaires afin de procéder à un tri préalable à l’entrée sur le territoire, permettant d’orienter ensuite les personne vers :
•    Une procédure d’asile accélérée à la frontière pour celles possédant une nationalité pour laquelle le taux de reconnaissance d’une protection internationale, à l’échelle de l’UE, est inférieure à 20%
•    Une procédure d’asile normale pour celles considérées comme éligibles à une protection.
•    Une procédure d’expulsion immédiate, depuis la frontière, pour toute celles qui auront été rejetées par ce dispositif de tri, dans un délai de 12 semaines.
Pendant cette procédure de filtrage à la frontière, les personnes seraient considérées comme n’étant pas encore entrées sur le territoire européen ce qui permettrait aux Etats de déroger aux conventions de droit international qui s’y appliquent.
Un premier projet pilote est notamment prévu à Lesbos, conjointement avec les autorités grecques, pour installer un nouveau camp sur l’île avec l’appui d’une Task Force européenne, directement placée sous le contrôle de la direction générale des affaires intérieure de la Commission européenne (DG HOME).
Difficile de voir où se trouve l’innovation dans la proposition présentée par la Commission. Si ce n’est que les États européens souhaitent pousser encore plus loin à la fois la logique de filtrage à ces frontières ainsi que la sous-traitance de leur contrôle. Depuis l’été 2018, l’Union européenne défend la création de « centres contrôlés au sein de l’UE » d’une part et de « plateformes de débarquement dans les pays tiers » d’autre part. L’UE, à travers ce nouveau mécanisme, vise à organiser l’expulsion rapide des migrants qui sont parvenus, souvent au péril de leur vie, à pénétrer sur son territoire. Pour ce faire, la coopération accrue avec les gardes-frontières des États non européens et l’appui opérationnel de l’agence Frontex sont encore et toujours privilégiés.
UN « NOUVEL ÉCOSYSTÈME EN MATIÈRE DE RETOUR »
L’obsession européenne pour l’amélioration du « taux de retour » se retrouve au cœur de ce nouveau pacte, en repoussant toujours plus les limites en matière de coopération extérieure et d’enfermement des personnes étrangères jugées indésirables et en augmentant de façon inédite ses moyens opérationnels.
Selon l’expression de Margaritis Schinas, commissaire grec en charge de la « promotion du mode de vie européen », la nouvelle procédure accélérée aux frontières s’accompagnera d’« un nouvel écosystème européen en matière de retour ». Il sera piloté par un « nouveau coordinateur de l’UE chargé des retours » ainsi qu’un « réseau de haut niveau coordonnant les actions nationales » avec le soutien de l’agence Frontex, qui devrait devenir « le bras opérationnel de la politique de retour européenne ».
Rappelons que Frontex a vu ses moyens décuplés ces dernières années, notamment en vue d’expulser plus de personnes migrantes. Celle-ci a encore vu ses moyens renforcés depuis l’entrée en vigueur de son nouveau règlement le 4 décembre 2019 dont la Commission souhaite accélérer la mise en œuvre effective. Au-delà d’une augmentation de ses effectifs et de la possibilité d’acquérir son propre matériel, l’agence bénéficie désormais de pouvoirs étendus pour identifier les personnes « expulsables » du territoire européen, obtenir les documents de voyage nécessaires à la mise en œuvre de leurs expulsions ainsi que pour coordonner des opérations d’expulsion au service des Etats membres.
La Commission souhaite également faire aboutir, d’ici le second trimestre 2021, le projet de révision de la directive européenne « Retour », qui constitue un recul sans précédent du cadre de protection des droits fondamentaux des personnes migrantes. Voir notre précédente actualité sur le sujet : L’expulsion au cœur des politiques migratoires européennes, 22 mai 2019
 DES « PARTENARIATS SUR-MESURE » AVEC LES PAYS D’ORIGINE ET DE TRANSIT
La Commission étend encore redoubler d’efforts afin d’inciter les Etats non européens à participer activement à empêcher les départs vers l’Europe ainsi qu’à collaborer davantage en matière de retour et de réadmission en utilisant l’ensemble des instruments politiques à sa disposition. Ces dernières années ont vu se multiplier les instruments européens de coopération formelle (à travers la signature, entre autres, d’accords de réadmission bilatéraux ou multilatéraux) et informelle (à l’instar de la tristement célèbre déclaration entre l’UE et la Turquie de mars 2016) à tel point qu’il est devenu impossible, pour les États ciblés, de coopérer avec l’UE dans un domaine spécifique sans que les objectifs européens en matière migratoire ne soient aussi imposés.
L’exécutif européen a enfin souligné sa volonté de d’exploiter les possibilités offertes par le nouveau règlement sur les visas Schengen, entré en vigueur en février 2020. Celui-ci prévoie d’évaluer, chaque année, le degré de coopération des Etats non européens en matière de réadmission. Le résultat de cette évaluation permettra d’adopter une décision de facilitation de visa pour les « bon élèves » ou à l’inverse, d’imposer des mesures de restrictions de visas aux « mauvais élèves ». Voir notre précédente actualité sur le sujet : Expulsions contre visas : le droit à la mobilité marchandé, 2 février 2020.
Conduite au seul prisme des intérêts européens, cette politique renforce le caractère historiquement déséquilibré des relations de « coopération » et entraîne en outre des conséquences désastreuses sur les droits des personnes migrantes, notamment celui de quitter tout pays, y compris le leur. Sous couvert d’aider ces pays à « se développer », les mesures « incitatives » européennes ne restent qu’un moyen de poursuivre ses objectifs et d’imposer sa vision des migrations. En coopérant davantage avec les pays d’origine et de transit, parmi lesquelles des dictatures et autres régimes autoritaires, l’UE renforce l’externalisation de ses politiques migratoires, sous-traitant la gestion des exilées aux Etats extérieurs à l’UE, tout en se déresponsabilisant des violations des droits perpétrées hors de ses frontières.
SOLIDARITÉ À LA CARTE, ENTRE RELOCALISATION ET EXPULSION
Le constat d’échec du système Dublin – machine infernale de l’asile européen – conjugué à la volonté de parvenir à trouver un consensus suite aux profonds désaccords qui avaient mené les négociations sur Dublin IV dans l’impasse, la Commission souhaite remplacer l’actuel règlement de Dublin par un nouveau règlement sur la gestion de l’asile et de l’immigration, liant étroitement les procédures d’asile aux procédures d’expulsion.
Les quotas de relocalisation contraignants utilisés par le passé, à l’instar du mécanisme de relocalisation mis en place entre 2015 et 2017 qui fut un échec tant du point de vue du nombre de relocalisations (seulement 25 000 relocalisations sur les 160 000 prévues) que du refus de plusieurs Etats d’y participer, semblent être abandonnés.
Le nouveau pacte propose donc un nouveau mécanisme de solidarité, certes obligatoire mais flexible dans ses modalités. Ainsi les Etats membres devront choisir, selon une clé de répartition définie :
•    Soit de participer à l’effort de relocalisation des personnes identifiées comme éligibles à la protection internationale depuis les frontières extérieures pour prendre en charge l’examen de leur demande d’asile.
•    Soit de participer au nouveau concept de « parrainage des retours » inventé par la Commission européenne. Concrètement, il s’agit d’être « solidaire autrement », en s’engageant activement dans la politique de retour européenne par la mise en œuvre des expulsions des personnes que l’UE et ses Etats membres souhaitent éloigner du territoire, avec la possibilité de concentrer leurs efforts sur les nationalités pour lesquelles leurs perspectives de faire aboutir l’expulsion est la plus élevée.
DE NOUVELLES RÈGLES POUR LES « SITUATIONS DE CRISE ET DE FORCE MAJEURE »
Le pacte prévoie d’abroger la directive européenne relative à des normes minimales pour l’octroi d’une protection temporaire en cas d’afflux massif de personnes déplacées, au profit d’un nouveau règlement européen relatif aux « situations de crise et de force majeure ». L’UE et ses Etats membres ont régulièrement essuyé les critiques des acteurs de la société civile pour n’avoir jamais activé la procédure prévue par la directive de 2001, notamment dans le cadre de situation exceptionnelle telle que la crise de l’accueil des personnes arrivées aux frontières sud de l’UE en 2015.
Le nouveau règlement prévoie notamment qu’en cas de « situation de crise ou de force majeure » les Etats membres pourraient déroger aux règles qui s’appliquent en matière d’asile, en suspendant notamment l’enregistrement des demandes d’asile pendant un durée d’un mois maximum.  Cette mesure entérine des pratiques contraires au droit international et européen, à l’instar de ce qu’a fait la Grèce début mars 2020 afin de refouler toutes les personnes qui tenteraient de pénétrer le territoire européen depuis la Turquie voisine. Voir notre précédente actualité sur le sujet : Frontière Grèce-Turquie : de l’approche hotspot au scandale de la guerre aux migrant•e •s, 3 mars 2020
Cette proposition représente un recul sans précédent du droit d’asile aux frontières et fait craindre de multiples violations du principe de non refoulement consacré par la Convention de Genève.
Bien loin d’engager un changement de cap des politiques migratoires européennes, le nouveau pacte européen migrations et asile ne semble n’être qu’un nouveau cadre de plus pour poursuivre une approche des mouvements migratoires qui, de longue date, s’est construite autour de la volonté d’empêcher les arrivées aux frontières et d’organiser un tri parmi les personnes qui auraient réussi à braver les obstacles pour atteindre le territoire européen, entre celles considérées éligibles à la demande d’asile et toutes les autres qui devraient être expulsées.
De notre point de vue, cela signifie surtout que des milliers de personnes continueront à être privées de liberté et à subir les dispositifs répressifs des Etats membres de l’Union européenne. Les conséquences néfastes sur la dignité humaine et les droits fondamentaux de cette approche sont flagrantes, les personnes exilées et leurs soutiens y sont confrontées tous les jours.
Encore une fois, des moyens très importants sont consacrés à financer l’érection de barrières physiques, juridiques et technologiques ainsi que la construction de camps sur les routes migratoires tandis qu’ils pourraient utilement être redéployés pour accueillir dignement et permettre un accès inconditionnel au territoire européen pour les personnes bloquées à ses frontières extérieures afin d’examiner avec attention et impartialité leurs situations et assurer le respect effectif des droits de tou∙te∙s.
Nous appelons à un changement radical des politiques migratoires, pour une Europe qui encourage les solidarités, fondée sur la protection des droits humains et la dignité humaine afin d’assurer la protection des personnes et non pas leur exclusion.
 Photographies: Calais, février 2016. © Sara Prestianni


POLITIQUE D’EXPULSION EUROPÉENNE : CASSER LA SPIRALE CONSISTANT À EXPULSER, ENFERMER, PUNIR ET CRIMINALISER POUR ALLER VERS UNE APPROCHE TOURNÉE VERS L’ÉGALITÉ ET LA LIBERTÉ
3 mars 2022
Les politiques d’endiguement, d’enfermement et d’expulsion se développent en France, en Europe et au-delà : « Retours », « expulsions », « réintégration », « réadmission », « transferts », « retours volontaires », la nomenclature des euphémismes des expulsions du territoire européen s’est étoffée mais aboutit au même résultat.
 
Politique d’expulsion européenne : Casser la spirale consistant à expulser, enfermer, punir et criminaliser pour aller vers une approche tournée vers l’égalité et la liberté
 
Chaque année depuis 2008, 500 000 personnes reçoivent l’ordre de quitter le territoire européen. Sur ce demi-million de personnes, moins d’un tiers elles sont effectivement expulsées. La France – au 1er rang des Etats membres de l’UE – prononce entre 80 000 et 120 000 mesures d’expulsion du territoire chaque année, mais « seules » 10 000 à 16 000 d’entre elles sont effectivement mises en œuvre[1]. Les personnes qui restent se retrouvent dans une « zone grise », ni ici, ni là-bas, et sont privées de leurs droits fondamentaux.
Les politiques d’endiguement, d’enfermement et d’expulsion se développent en France, en Europe et au-delà : « Retours », « expulsions », « réintégration », « réadmission », « transferts », « retours volontaires », la nomenclature des euphémismes des expulsions du territoire européen s’est étoffée mais aboutit au même résultat.
En amont des frontières européennes, la politique des visas permet aux Etats européens de sélectionner les personnes qu’ils souhaitent attirer et d’écarter celles qu’ils désignent comme une « menace migratoire ».  Les visas sont également utilisés comme « levier » pour pousser les pays non européens à coopérer en matière de retour. Cette pratique de « marchandage » est désormais codifiée depuis 2020 dans le code visa Schengen qui prévoit que les Etats européens puissent se servir des visas « comme levier » de coopération (voir notre actualité du 2 février 2020, Expulsions contre visas : le droit à la mobilité marchandé). La France a ainsi dernièrement réduit de 33 à 50% l’accès aux visas de trois pays qu’elle considère comme défaillant en termes d’expulsion de leurs ressortissant.es: La Tunisie, l’Algérie et le Maroc  (voir notre communiqué du 29 septembre 2021, Les personnes migrantes ne peuvent servir de monnaie d’échange aux pressions diplomatiques).
Encadrées par le droit, les expulsions forcées peuvent être mises en œuvre par la délivrance d’un laissez-passer consulaire par les autorités du pays d’origine de la personne à expulser. Ce laissez-passer faisant souvent défaut, les États européens ont commencé à signer des accords bilatéraux de réadmission dès 1960. Ces derniers permettent notamment de faciliter les renvois lorsque l’État de destination ne délivre pas de laissez- passer dans les temps impartis. En parallèle, l’UE a développé des accords communautaires de réadmissions avec 18 États non européens[2], et des négociations sont ouvertes avec 6 autres pays[3].
Avec le nouveau Pacte européen sur la migration et l’asile (voir notre actualité du 25 septembre 2020, Pacte européen sur les migrations et l’asile : le rendez-vous manqué de l’UE), la Commission européenne confirme également le rôle de premier plan donnée l’agence européenne de garde-côtes et de garde-frontières (Frontex) dans la mise en œuvre de la politique d’expulsion européenne. Frontex coordonne et organise déjà des vols charters pour venir en soutien des expulsions organisées par les États membres, son rôle sera renforcé. Elle facilite également les liens avec les États d’origine. Si l’agence a aidé les États européens à expulser près de 50 000 personnes entre 2007 et 2019, il est prévu qu’elle facilite l’expulsion de 50 000 personnes par an depuis le territoire européen dans le cadre de son nouveau mandat[4]. Et cela, alors même que les activités de l’agence sur le terrain demeurent opaques et difficiles à poursuivre juridiquement.
En parallèle, l’UE et ses États ont développé les programmes de retour dit « volontaire » considérés par l’UE comme moins coûteux[5]. Dans ce cadre, l’UE s’est également dotée en 2021 d’une nouvelle stratégie en matière de retour volontaire et de réintégration. La mise en œuvre de tels programmes n’a fait que s’accroître dans l’UE mais également au-delà dans les pays dits « de transit » grâce au financement européens (Maroc, Sénégal, Niger, Libye). Cette nouvelle forme de retour à l’avantage, du point de vue des autorités, d’être un dispositif qui, dans une large mesure, ne fait l’objet d’aucun encadrement juridique. Ce retour est souvent perçu par les personnes qui le demandent comme un moindre mal face à une expulsion inévitable, à la précarité de leur situation et encore à l’absence de perspectives notamment de régularisation administrative.
Dernière innovation proposée dans le nouveau pacte sur les migrations et l’asile : le « parrainage des expulsions » qui permettrait aux États qui ne souhaitent pas accueillir de personnes migrantes d’être « solidaires autrement », en s’engageant activement dans la mise en œuvre des expulsions de celles et ceux que l’UE et ses Etats membres souhaitent éloigner.
Avec le concours de l’agence Frontex, des accords de réadmissions, de la politique des visas comme levier diplomatique et d’une nouvelle stratégie retour, les États membres et l’UE mettent en place une véritable « machine à expulser ».
La situation actuelle démontre pourtant que ces politiques sont absurdes en plus d’être inefficaces.
Les conséquences néfastes sur la dignité humaine et les droits fondamentaux sont, elles, flagrantes et représente un coût énorme pour en termes de droits, de dignité ou d’intégrité physique et mentale.
Il est temps de mettre fin à ces politiques d’expulsion et de bannissement !
La Cimade appelle l’UE et ses Etats membres à casser la spirale consistant à expulser, enfermer, punir et criminaliser pour aller vers une approche tournée vers la justice sociale, et l’égalité des droits.  
 
[1] Reconduites hors de l’espace Schengen
[2] Hong-Kong, Macao, Sri Lanka, Albanie, Russie, Bosnie Herzégovine, Moldavie, Monténégro, Macédoine du Nord, Serbie, Ukraine, Pakistan, Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan, Cap Vert, Turquie et Biélorussie.
[3] Maroc, Algérie, Tunisie, Jordanie, Nigéria et Chine
[4] Statewatch, Deportation union : Rights, accountability and the EU’s push to increase forced removal, 2020
[5] D’après une étude du Parlement européen, un retour forcé depuis l’Europe coûterait 3414 euros contre 560 euros pour un retour dit « volontaire ». Depuis les pays de transit, les retours « volontaires » auraient un coût moyen de 2500 euros. Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil, La Stratégie de l’UE en matière de retour volontaire et de réintégration, SWD (2021) 121 final, avril 2021.
Auteur: Service communication
 

L’EXPULSION AU CŒUR DES POLITIQUES MIGRATOIRES EUROPÉENNES
22 mai 2019
La Cimade s’inquiète du projet de révision à venir de la directive européenne « Retour », qui constituerait un recul sans précédent du cadre de protection des droits fondamentaux des personnes migrantes. Un mois à peine après un renforcement de l’agence Frontex, ce projet témoigne bien de l’impasse dans laquelle se trouve l’UE pour imaginer des politiques migratoires respectueuses des droits humains.
 
Le dimanche 26 mai 2019, les électeurs et électrices sont appelé•e•s à désigner leurs représentant•e •s au Parlement européen, seule institution de l’Union européenne (UE) élue au suffrage universel direct. Cette nouvelle Assemblée aura à jouer, pour les 5 ans à venir, un rôle essentiel pour que soient garantis (ou non) les droits fondamentaux des personnes migrantes en France et en Europe, notamment dans les débats sur la Directive européenne « Retour ».
En effet, outre une réforme du régime d’asile européen commun (avortée faute de consensus entre les Etats), dont le règlement Dublin – machine infernale de l’asile en Europe –, la Commission européenne dont le mandat se termine cette semaine, avait pour objectif d’obtenir la révision de la Directive dite « Retour » de 2008, sensée harmoniser les règles nationales des Etats-membres en matière d’enfermement et d’expulsion. Obsédée par « l’amélioration du taux d’expulsion », la Commission soutenue par plusieurs Etats-membres souhaitait ainsi durcir encore plus ce texte qualifié de « directive de la honte » par la société civile. Aucune analyse d’impact n’avait pourtant été menée pour étudier de manière sérieuse les conséquences de l’application de cette directive dans les pays européens et les potentielles atteintes aux droits fondamentaux.
L’actuelle Commission européenne n’aura donc pas réussi à faire aboutir la refonte de la directive Retour durant son mandat. Cependant, il y a fort à parier que la prochaine Commission souhaite en priorité rouvrir ce dossier dès sa prise de fonction, à l’automne prochain. En attendant, l’agence européenne Frontex, chargée de la surveillance des frontières extérieures, a vu ses moyens décuplés ces dernières années, notamment en vue d’expulser plus de personnes migrantes.
Une refonte de la directive Retour visant à réduire les droits des personnes étrangères
Le 12 septembre 2018, la Commission a présenté au Conseil européen réuni à Salzbourg une proposition de refonte de la directive Retour, aux conséquences considérables sur les droits des personnes migrantes, celle-ci prévoyant entre autres :
•    L’obligation explicite, pour la personne, de coopérer avec les autorités à tous les stades de la procédure d’expulsion, en particulier pour établir son identité ou obtenir un document de voyage auprès du consulat. Une telle obligation est susceptible d’exposer les personnes à des risques, notamment les personnes déboutées de l’asile et qui ne peuvent donc pas entrer en contact sans crainte avec les autorités de leur pays ;
•    La suppression du délai de départ volontaire minimal de 7 jours : la logique consistant à d’abord proposer un délai de départ volontaire serait donc inversée, venant ainsi légitimer de fait la surveillance et l’enfermement dès la mesure d’expulsion prononcée (assignation à résidence ou rétention);
•    Un délai de recours maximal de 5 jours pour toute décision d’expulsion prise après le rejet d’une demande d’asile. Les délais de recours actuels permettent déjà difficilement d’exercer correctement ses droits. Cette mesure réduirait à peau de chagrin le droit à un recours effectif, principe pourtant fondateur de la Convention européennes des Droits de l’Homme ;
•    Un recours contre l’expulsion dépourvu d’effet suspensif de plein droit pour les personnes déboutées de l’asile, au motif que les garanties qui s’attachent au principe de non-refoulement auraient déjà été examinées (et écartées) dans le cadre de la demande d’asile. Si elle venait à être adoptée telle quelle, cette disposition s’avèrerait particulièrement préjudiciable pour les personnes en France – mais également ailleurs en Europe – puisque ni l’OFPRA ni la CNDA ne se prononceraient sur des motifs tels que le droit à la vie privée et familiale, l’intérêt supérieur de l’enfant ou les risques liés à l’état de santé, qui peuvent pourtant faire utilement obstacle à l’expulsion d’une personne ;
•    Un bannissement systématique : Une interdiction de retour serait prononcée, lors du contrôle aux frontières à la sortie, contre toute personne qui quitte l’UE de sa propre initiative (sans faire l’objet d’une mesure d’éloignement) mais qui est identifiée pour la première fois comme étant en situation irrégulière ;
•    L’exigence de prévoir une durée minimale de rétention initiale de 3 mois pour tous les Etats membres (exigence que la France a déjà mise en œuvre depuis le 1 avril 2019 et qui produit des effets délétères sur les personnes enfermées, sans pour autant que le taux d’expulsion n’augmente).
Le Parlement européen, saisi par la Commission en septembre 2018, a commencé à travailler sur cette proposition. Si les délais impartis n’ont pas permis à la rapporteure, Judith Sargentini, eurodéputée du groupe des Verts, de faire adopter un rapport final par l’hémicycle ; il semble que plusieurs groupes politiques aient tenté de nuancer les propositions répressives de la Commission : en axant le texte sur le retour volontaire, sur le développement d’autres moyens de régularisation des personnes (pour des raisons familiales, professionnelles, d’étude ou de santé, etc.), ou sur la remise en cause des interdictions de retour.
Frontex, une agence européenne d’expulsion ?
Cette révision de la directive Retour s’inscrit en outre dans le contexte d’un renforcement sans précédent de Frontex – agence de l’UE chargée du contrôle des frontières extérieures. Déjà réformée en 2016 en un temps record pour obtenir l’extension urgente de ses moyens opérationnels et financiers, Frontex avait déjà pris un poids très important dans l’organisation des expulsions en Europe, pouvant organiser des vols charters à destination de pays tiers. Estimant que cela ne suffisait pas, la Commission a proposé une nouvelle réforme de l’agence en septembre 2018, celle-ci ayant été adoptée à nouveau en express, le 17 avril 2019.
Le nouveau règlement Frontex continue de renforcer les pouvoirs humains, matériels, financiers et opérationnels de l’agence, notamment afin de faciliter les expulsions :
•    L’agence sera dotée d’un corps permanent de 10 000 agent•e•s d’ici 2027 (actuellement, l’effectif de garde-frontières est d’un peu plus de 1 500)
•    Elle peut désormais acquérir son propre matériel (navires, hélicoptères, avions, véhicules) ; la Commission estime que le coût des politiques migratoires sera de 11,3 milliards d’euros sur la période 2021-2027.
•    Elle bénéficie surtout de pouvoirs d’exécution étendus, « sous l’autorité et le contrôle de l’État membre d’accueil » : aux frontières extérieures, les agent•e•s peuvent effectuer des contrôles d’identité, autoriser ou refuser l’entrée aux points de passage frontaliers et préparer les décisions de retour.
Dans un tel contexte et en fonction des résultats du scrutin du 26 mai, La Cimade demeurera vigilante et continuera de militer, en tout état de cause, pour l’adoption de normes européennes respectueuses des droits fondamentaux des personnes étrangères.
Auteur: Responsable national Expulsion