Quelques remarques sur la situation économique

La crise sanitaire a produit un choc sur l’économie mondiale. De nombreuses incertitudes demeurent tant sur la durée de cette crise qui peut passer par des rebonds successifs en l’absence de vaccin ou de médicament efficace que sur les leçons qu’en tireront les classes dirigeantes et leur division éventuelle. Enfin, il est aujourd’hui impossible de prévoir quel sera l’état des opinions publiques quand cette crise commencera à s’atténuer et donc de savoir quel sera le centre de gravité politique, ce qui aura aussi une importance sur la situation économique, l’économie n’étant jamais simplement de l’économie.

 

Plan du texte.

- Une situation déjà dégradée avant la crise sanitaire

- Les ressorts de la récession

- Les réponses des classe dirigeantes

- Où en est la mondialisation néolibérale ?

 

Une situation déjà bien dégradée avant la crise sanitaire

 

La crise financière de 2007-2008 n’a jamais été réellement épurée. Si les plans de relance ont permis d’éviter que la récession de 2009 - moins 4,4 % du PIB dans la zone euro - ne se transforme en dépression longue, à partir de 2011 les politiques d’austérité plus ou moins massives suivant les pays les ont replongés dans la récession. Ainsi la zone euro n’est sortie de la récession qu’en 2014 sans jamais retrouver une dynamique importante de l’activité économique. Avant même la crise sanitaire, le spectre de la stagnation économique menaçait dès 2019, la France connaissant même un quatrième trimestre négatif et l’Allemagne un deuxième trimestre négatif avec un modèle basé sur les exportations qui s’essouffle au vu à la fois de la faiblesse de la demande dans les pays européens et du recentrage progressif de la Chine vers son marché intérieur.  Cette situation s’inscrit dans une tendance de long terme de ralentissement général de la hausse de la productivité du travail qui obère les conditions de rentabilité du capital et favorise ainsi la financiarisation, ce qui a pu faire dire à certains économistes que nous étions entrés dans une « stagnation séculaire ».

 

Si en Europe, le rachat de dettes souveraines par la BCE a permis d’éviter l’éclatement de la zone euro, les mesures prises sont revenues à distribuer de l’argent aux banques en espérant que celles-ci aient un refinancement plus aisé lorsqu’elles prêtent aux entreprises et aux ménages afin de relancer l’activité économique. Mais pourquoi les entreprises auraient-elles investi alors que la demande publique ou privée est anémiée par les politiques d’austérité et que l’activité économique stagne ? L’injection massive de liquidités a abouti à une situation que les économistes nomment « trappe à liquidité », dans laquelle la politique monétaire devient peu ou pas opérante. Faute de demande, la monnaie de la BCE a eu très peu d’effet sur la politique de crédit des banques et les liquidités ont été en partie conservées sur les comptes des banques à la BCE - et ce malgré un taux de dépôt négatif - pour faire face à des coups durs.

 

L’inflation du prix des actifs financiers et la forte croissance de l’endettement des entreprises a montré que l’argent mis à disposition par la BCE est aussi allé nourrir une nouvelle bulle financière, les banques se mettant à prêter pour les usages financiers des institutions financières ou des grandes entreprises. Le très faible niveau des taux d’intérêt a poussé à l’endettement des entreprises à la fois pour des raisons spéculatives (rachat d’actions), pour verser des dividendes confortables à leurs actionnaires et, pour les plus fragiles d’entre elles, pour pouvoir continuer leur activités (entreprises zombies). Il s’en est résulté un accroissement considérable de l’endettement des entreprises qui sont placées devant une contrainte permanente de solvabilité.

 

Les banques de l’Union européenne regorgent aujourd’hui de créances douteuses. Ce sont soit des prêts qui ont un retard de paiement conséquent – l’Autorité bancaire européenne l’a fixé à 90 jours -, soit qui ne seront probablement jamais remboursés. La banque doit donc les provisionner, ce qui peut lui poser problème. La part des « prêts non performants » peut à première vue apparaître modeste. Elle ne concerne que 4,9 % des crédits émis dans la zone euro. Mais cela correspond à un montant de 730 milliards d’euros, dont une partie non négligeable, 395 milliards d’euros, n’a pas été provisionnée[1], ce qui signifie que les banques sont ainsi très fragilisées. Cette situation est d’autant plus inquiétante qu’elle peut concerner des banques systémiques, c’est-à-dire des banques dont les difficultés peuvent mettre en danger le système financier dans son ensemble par ses liens avec d’autres établissements financiers. Comme l’indiquent les économistes du CEPII, « Les banques systémiques en zone euro sont ainsi en moyenne moins capitalisées que les autres, alors qu’elles devraient l’être davantage vu le risque qu’elles font courir au système[2]», et ce malgré les réformes prudentielles qui ont suivi la crise de 2008. Ces réformes ont certes accru les exigences de liquidité et de fonds propres pour les banques, mais ont épargné la finance de l’ombre, le Shadow banking, qui lui est structurellement liée. Les difficultés d’un établissement financier du Shadow Banking pourraient ainsi se transmettre aux banques. Et en Europe, le lobbying bancaire a fait échouer le projet de séparation des banques d’affaires et des banques de dépôt.

 Ce scénario est d’autant plus possible qu’une des solutions préconisées par les institutions européennes pour résoudre le problème des créances douteuses est de favoriser leur titrisation, ce que qu’encourage la directive « STS » de décembre 2017. Il s’agit de transformer des prêts hasardeux en actifs financiers échangeables sur le marché en passant par un « véhicule » appartenant au Shadow Banking, juridiquement indépendant de la banque. Double avantage pour cette dernière : elle transfère le risque sur d’autres entités et n’a donc plus besoin de provisionner. Rappelons qu’en 2007, la crise des subprimes, élément déclencheur d’une des plus graves crises financières mondiales, trouve son origine dans un processus de ce type.

 Les ressorts de la récession

 La crise sanitaire s’attaque donc à un corps économique déjà malade et est en train de provoquer un double choc. Un choc d’offre d’abord dû aux arrêts de la production de plus dans une situation où l’éclatement des chaines de production entre de nombreux pays est un élément de fragilisation extrême car il suffit qu’une seule pièce manque pour bloquer le processus de fabrication d’un produit. Les entreprises étant aujourd’hui insérées dans des chaines de production mondiales, si l’une d’entre elles ferme, c’est la chaine entière qui doit s’arrêter. Un choc de demande ensuite dû à la fois au confinement des personnes, à une consommation qui se réduit à l’essentiel, à un pouvoir d’achat des salarié.es en baisse avec le développement du chômage qu’il soit partiel ou non, sans même évoquer la probable hausse de l’épargne de précaution pour se prémunir face à un avenir incertain.

 

Choc de demande et choc d’offre ne sont d’ailleurs pas indépendants l’un de l’autre. Ils rebondissent l’un sur l’autre et peuvent s’entretenir l’un, l’autre. Un choc d’offre signifie d’une façon ou d’une autre une baisse des capacités productives des entreprises qui soit ont dû réduire ou arrêter leur production avec le confinement, soit risquent de faire faillite. Elles vont donc licencier, ce qui augmentera le chômage et aura des conséquences sur la demande. Mais cette chute de la demande rebondira sur l’offre car elle incitera les entreprises à ne pas investir et/ou à produire moins.  La récession s’annonce donc et elle sera sévère. Toute la question est de savoir si elle se transformera en dépression longue, déflation à l’appui. Les mésaventures du prix du pétrole américain, le WTI (West Texas Intermediate), devenu négatif en est l’illustration. Il s’agit d’un produit dérivé dont le contrat à terme arrivait à échéance et dont le prix s’est effondré pour cause d’une telle surproduction que les vendeurs ont dû payer pour pouvoir en être débarrassés faute de pouvoir stocker les barils de pétrole correspondants[3].

 

En France, selon une estimation publiée le 8 avril par la Banque de France, le PIB s'est effondré d'environ 6 % au premier trimestre 2020. Elle estime que chaque quinzaine de confinement entraîne un recul de 1,5 % du PIB sur un an et le gouvernement prévoit maintenant un recul de 8 % du PIB en 2020, à comparer avec les 2,6 % de la récession de 2009 suite à la crise financière. L’INSEE estime l’impact d’un mois de confinement à -35 % sur la consommation des ménages. De plus, comme le note l’OFCE[4] dans une étude du 30 mars, un certain nombre de facteurs peuvent, ou pas, aggraver la situation : « la perte de productivité́ en cas de télétravail prolongé ; l’épuisement des stocks de produits critiques nécessaires à la production et donc une amplification de la rupture des chaînes de valeurs ; un durcissement des mesures de confinement (à l’inverse un assouplissement pourrait atténuer l’impact) ; les risques financiers et bancaires ainsi que des effets de stock sur les bilans (trésorerie, carnets de commande, prime de risque), en particulier des acteurs privés et donc la multiplication de faillites ».

 

Au moment où ces lignes sont écrites plus de 10 millions de personnes sont en chômage partiel et voient donc leurs revenus amputés, ce qui pour les bas salaires peut avoir des conséquences dramatiques. De plus, l’OFCE, dans une note du 22 avril[5], indique que « Les destructions d’emplois se concentrent dès lors massivement sur les salariés les moins protégés : ceux en transition entre deux emplois et ceux en contrats de travail à durée très courte (CDD de moins d’un mois, missions d’intérim) » et pourraient se monter à 460 000 personnes au premier mois du confinement.

 

Les réponses des classes dirigeantes

 Dans les pays riches, les gouvernements ont tous pris des mesures similaires dont la logique est d’éviter l’effondrement du revenu des ménages et soutenir les entreprises pour empêcher que l’arrêt de l’économie dû à la crise sanitaire provoque des faillites en chaine. En France, ce sont des reports du paiement des cotisations sociales patronales, leur annulation pour les cafés, hôtels et restaurants, la prise en charge du chômage partiel, un versement exceptionnel pour les allocataires de minima sociaux (RSA et ASS), une augmentation du fonds de solidarité pour les indépendants, des crédits pour aider les entreprises dites « stratégiques », etc. 

 

En tout 110 milliards d’euros auxquels il faut ajouter 300 milliards d’euros pour la garantie des prêts bancaires aux entreprises afin qu’elles puissent faire face à leurs problèmes de trésorerie. L’État garantit les prêts bancaires pour que les banques acceptent de prêter aux entreprises afin d’éviter que celles-ci ne fassent faillite et ne puissent pas rembourser des emprunts contractés avant la crise, ce qui pourrait provoquer en retour une crise bancaire.

 

Non seulement donc les dépenses publiques pour faire face à la crise vont augmenter, mais les recettes fiscales et sociales vont mécaniquement diminuer suite à la récession. Avec le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu, la baisse des recettes sera immédiate. Les recettes de la TVA vont diminuer suite à la baisse de la consommation due au confinement ainsi que celles de la TICPE. Le déficit public devrait atteindre 9 % du PIB et la dette publique 115 % du PIB. Et encore ces chiffres sont basés sur l’hypothèse d’une stabilisation de la situation actuelle.

 

Dans cette situation qui touchent tous les pays européens, un tabou majeur est tombé. Pour la première fois, la Commission européenne, « gardienne des traités » a accepté de suspendre le pacte de stabilité afin de répondre à la crise. Cela n’avait pas été le cas lors de la crise financière. Cependant le plan d’aide mis en œuvre au niveau européen condense les contradictions d’une Union européenne qui se refuse à rompre avec les marchés financiers. Il comporte trois volets. La Banque européenne d’investissement (BEI) pourra accorder 200 milliards d’euros de prêts aux entreprises grâce à une garantie des États de 25 milliards. Cette mesure n’a pas fait l’objet d’affrontement entre les pays européens. De même, second volet, les États vont apporter 25 milliards d’euros de garanties pour que la Commission puissent emprunter 100 milliards d’euros pour financer le chômage partiel. Les Pays-Bas, qui y étaient opposés, ont obtenu que cela soit temporaire. Mais c’est le troisième volet qui a posé le plus de problèmes, le recours au Mécanisme européen de solidarité (MES), fonds créé en 2012 au moment de la crise de la zone euro.

 

Le MES est doté de 410 milliards d’euro et peut prêter aux États à condition que ces derniers se soumettent à des plans d’austérité drastique visant à réduire les dépenses publiques et à des réformes dites structurelles visant à remettre en cause le droit du travail et la protection sociale. Un certain nombre de pays - Pays-Bas, Finlande, Autriche, l’Allemagne étant sur une position plus en retrait – voulaient que ces « conditionnalités » soient appliquées lors de la crise actuelle, position refusée par les pays du Sud et par la France. Le compromis final indique que seules « les dépenses, directes et indirectes, de santé et de prévention liées au Covid-19 » ne seront pas assorties de conditionnalités. Par contre, elles devront accompagner tout emprunt au MES pour soutenir l’activité économique. De plus, un pays ne pourra pas emprunter au MES plus de 2 % de son PIB, soit 36 milliards d’euros pour l’Italie et 50 milliards pour la France, des sommes nettement insuffisantes pour faire face à la situation actuelle.

 

L’effondrement des Bourses illustre une fois de plus le comportement mimétique des acteurs de la finance, mais un krach boursier n’est dangereux que s’il est le détonateur d’une crise financière. L’intervention de la BCE vise, entre autres choses à l’éviter. La BCE, qui avait déjà injecté près de 2600 milliards d’euros sur les marchés entre mars 2015 et décembre 2018, a repris sa politique d’achats massifs de titres privés et publics, plus de 1000 milliards d’ici la fin 2020. Son objectif est de faciliter le financement des entreprises, surtout d’ailleurs des grandes entreprises qui sont en capacité d’émettre des obligations, et de garantir aux banques la liquidité des titres publics, permettant ainsi que les taux d’intérêt auxquels les États empruntent n’explosent pas et ne divergent pas trop. Cependant, ces achats se font sur le marché secondaire. La BCE se refuse toujours à financer directement les États qui continuent à être obligés d’emprunter sur les marchés financiers. Elle a d’autre part prévu de prêter 3000 milliards d’euros aux banques à un taux d’intérêt négatif pouvant aller jusqu’à - 0,75 %. L’objectif affiché est d’encourager ainsi les banques à prêter de l’argent notamment en assouplissant les garanties demandées dans le cas des petites entreprises, travailleurs indépendants et particuliers.

 

Deux questions se posent face à toutes ces mesures. La première est celle de leur efficacité, la seconde celle de leur objectif final. Ces mesures visent à répondre à une situation de crise. Leur efficacité dépendra pour beaucoup de l’évolution de la crise sanitaire et du confinement. Les économistes envisagent en général trois scénarios de sortie de crise : un rebond rapide qui efface la crise, scénario en V ; un rebond rapide suivi d’une rechute, scénario en W ; une crise prolongée suivi d’un éventuel rebond, scénario en U. Il est aujourd’hui très difficile de savoir lequel se produira, même si le premier paraît le moins probable. Mais surtout la sortie de crise dépendra de l’objectif recherché. Or, pour le moment, tout semble indiquer que les classes dirigeantes n’ont pour objectif que de redémarrer comme avant[6]. Ainsi par exemple le gouvernement français vient de décider de consacrer 20 milliards d’euros, en plus des 4 milliards déjà prévus, pour sauver de grandes entreprises dites « stratégique », comme Renault, Air France ou Vallourec, sans exiger la moindre contrepartie en matière sociale et écologique. De plus, les grandes entreprises en France, comme au niveau européen pratiquent un lobbying acharné pour que les objectifs de réduction d’émission de CO2 soient abandonnés. Business Europe, qui regroupe les grandes entreprises européennes vient d’ailleurs d’obtenir le report de plusieurs mesures, pourtant modestes, contenues dans le Green Deal de la Commission. Or non seulement un simple redémarrage reviendrait dans le meilleurs des cas à une situation antérieure qui était elle-même bien dégradée, mais cela obèrerait toute transformation écologique et sociale.

 

De plus, le débat autour de l’emploi des ressources du MES montre que la question du traitement des déficits publics et de la dette publique va revenir au premier plan comme cela avait été le cas après la récession de 2009. Le risque de mise en œuvre de plans d’austérité ne peut être exclu surtout si les dettes publiques de certains pays font l’objet d’attaques spéculatives de la part des acteurs financiers. L’Union européenne serait alors plongée dans une crise à côté de laquelle celle qui a suivi la crise financière apparaitrait comme bénigne. Si tel était le cas, un éclatement de la zone euro ne pourrait pas être écarté.

 

Où va la mondialisation néolibérale ?

 

Au-delà même du fait que le mode développement induit par le capitalisme productiviste, en détruisant la biodiversité favorise la transmission des agents pathogènes, la mondialisation néolibérale a joué un triple rôle dans la crise actuelle. Tout d’abord, elle a accéléré considérablement la diffusion du virus par des échanges de toutes sortes. Ensuite, les délocalisations opérées par les multinationales dans les pays à bas salaires et aux droits sociaux réduits, combinées à la logique du « zéro stock » et des flux tendus ont entrainé une dépendance vis-à-vis de quelques pays devenus les « ateliers du monde », en particulier la Chine. Enfin, la fragilité des chaines de valeur mondiales a éclaté au grand jour aggravant encore les conséquences du confinement. Cette situation va-t-elle remettre en cause la globalisation du capital qui a accompagné l’installation du néolibéralisme[7] ?

 

Tout d’abord, il faut souligner que la mondialisation a surtout pris la forme d’une division entre trois grandes zones économiques, chacune avec leur périphérie propre : l’Amérique du nord, l’Europe et l’Asie. Ainsi, les importations françaises de biens intermédiaires proviennent à 66 % de l’Union européenne contre 9,3 % des États-Unis et 5,1 % de Chine. Les chaines de valeur sont donc largement régionales. C’est le cas d’ailleurs des entreprises françaises qui sont intégrées dans des chaines de valeur pour beaucoup agencées au niveau européen. Cependant même si les chaines de fabrication sont organisées pour l’essentiel au niveau régional, il suffit qu’un seul produit fabriqué ailleurs, par exemple en Chine, manque pour que la chaine s’arrête. De plus, la crise sanitaire a mis en évidence la dépendance sur des produits sensibles vis-à-vis de quelques pays devenus les « ateliers du monde », en particulier la Chine. Ainsi, la pénurie de médicaments apparue bien avant la crise du coronavirus s’explique en partie par la concentration de la fabrication de l’essentiel des molécules en Inde et en Chine.

 

La globalisation, commencée à la fin des années 1990, avait connu une phase ascendante jusqu’à la crise financière de 2007-2008, globalisation favorisée à la fois par les accords de libre-échange, la montée de la Chine comme « usine du monde », la baisse importante des coûts de communication et les stratégies de délocalisation des multinationales avec l’éclatement des chaînes de production. La structure du commerce mondial en a été bouleversée avec des échanges intra-firmes qui représentent plus de la moitié du commerce entre les pays de l’OCDE et un tiers du commerce mondial, les exportations mondiales augmentant plus vite que la production industrielle. La crise financière marque une première rupture. Depuis ce moment les exportations mondiales progressent à peu près au même rythme que la production industrielle. Cependant cette rupture doit être relativisée. Elle tient essentiellement au rééquilibrage chinois en faveur de la demande interne, le taux d’ouverture[8] des autres régions du monde ayant progressé de 10 % depuis 2010. Malgré les fortes tensions commerciales entre la Chine et les États-Unis, on ne peut donc parler d’un retournement, et encore moins d’une fin, de la mondialisation néolibérale.

 

Quelles vont être les conséquences qui seront tirées de la crise sanitaire ? Il faut ici distinguer ce qui relève des États et ce qui relèves des firmes. La dépendance vis-à-vis de la Chine qui s’est manifestée lors de cette crise sur toute une série de produits essentiels, comme le matériel médical ou les médicaments va probablement entraîner un changement d’attitude de la part des États, au moins dans les pays riches, qui vont devoir prendre en compte les risques systémiques et les anticiper. Il est donc vraisemblable que des relocalisations partielles d’activité dans un certain nombre de secteurs considérés comme « stratégiques » soient effectuées. Cependant il est peu probable que l’on assiste spontanément à une transformation radicale du comportement des grands groupes et ce pour deux raisons. La première tient évidemment au fait que ces derniers optimisent en permanence leur coûts et qu’on ne voit pas pourquoi ils renonceraient aux avantages que leur procurent les pays à bas salaires et pourvu d’un droit du travail et de protections de l’environnement lacunaires. La seconde raison tient au caractère mondial de la crise sanitaire. Tous les pays étant touchés par les mesures de confinement, de toute façon la production aurait été touchée de la même façon quelle que soit l’organisation des chaines de production. On peut par contre penser que les grands groupes en tireront quelques enseignements, notamment en remettant en partie en cause l’organisation en flux tendu en constituant des stocks permettant de mieux résister aux chocs.

 

Conclusion provisoire

 

Comme lors de la crise financière de 2007-2008, les déclarations sur le mode « rien ne sera plus comme avant » se multiplient, Emmanuel Macron en étant un exemple édifiant. On sait ce qu’il en est devenu ensuite. Trois voies possibles aujourd’hui. La première est celle qui vise à retrouver le plus rapidement possible les fondamentaux du néolibéralisme. Elle se traduirait par la mise en œuvre de plans d’austérité au motif qu’il faudrait réduire la dette publique, par une remise en cause encore plus importante du droit du travail et des impératifs écologiques au prétexte de faire face à l’effondrement de la production et par une relance du processus de marchandisation et privatisation. C’est la petite musique déjà portée par le patronat, par certains responsables de droite et de la macronie ainsi que par une partie de l’appareil administratif comme le montre la note de la Caisse des dépôts sur l’hôpital. La seconde consiste en un aménagement à la marge du système avec la relocalisation de certaines activités de production avec des plans de relance limités pour éviter la transformation de la récession en dépression longue. Ces deux voies ne sont pas d’ailleurs contradictoires et elles auront en commun la volonté d’apporter des aides massives aux entreprises et dans les deux cas, le modèle productiviste et consumériste ne serait pas remis cause.

 

La troisième voie serait celle d’une bifurcation de la société qui s’engagerait résolument dans la transition écologique et sociale. Elle a pour elle l’ampleur du choc dans l’opinion qui peut transformer en profondeur les états d’esprit. Mais ce choc peut aussi pousser vers un repli nationaliste et sécuritaire. Dans cette situation, au-delà de la nécessité d’avancer des exigences immédiates qui répondent aux urgences de la situation et de favoriser tout ce qui peut permettre l’expression des mobilisations sociales et citoyennes, c’est in fine, sur le terrain proprement politique, et donc électoral, que se jouera l’avenir.